Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/189

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fils une grande dame qui soit comme une haquenée, il ira se cacher dans ses rochers ; bien plus ! si quelque vive terreur le tuerait à coup sûr, je crois qu’un bonheur trop subit le foudroierait également. Pour éviter ce malheur, m’est avis de laisser Etienne s’engager de lui-même, et à son aise, dans la voie des amours. Ecoutez, monseigneur, quoique vous soyez un grand et puissant prince, vous n’entendez rien à ces sortes de choses. Accordez-moi votre confiance entière, sans bornes, et vous aurez un petit-fils.

— Si j’obtiens un petit-fils par quelque sortilége que ce soit, je te fais anoblir. Oui, quoique ce soit difficile, de vieux coquin tu deviendras un galant homme, tu seras Beauvouloir, baron de Forcalier. Emploie le vert et le sec, la magie blanche et noire, les neuvaines à l’Eglise et les rendez-vous au sabbat, pourvu que j’aie une lignée mâle, tout sera bien.

— Je sais, dit Beauvouloir, un chapitre de sorciers capable de tout gâter ; ce sabbat n’est autre que vous-même, monseigneur. Je vous connais. Vous désirez une lignée à tout prix aujourd’hui ; demain vous voudrez déterminer les conditions dans lesquelles doit venir cette lignée, et vous tourmenterez votre fils.

— Dieu m’en garde !

— Eh ! bien, allez à la cour, où la mort du maréchal et l’émancipation du roi doit avoir mis tout sens dessus dessous, et où vous avez affaire, ne fut-ce que pour vous faire donner le bâton de maréchal qu’on vous a promis. Laissez-moi gouverner monseigneur Etienne. Mais engagez-moi votre parole de gentilhomme de m’approuver en quoi que je fasse.

Le duc frappa dans la main du vieillard en signe d’une entière adhésion, et se retira dans son appartement.

Quand les jours d’un haut et puissant seigneur sont comptés, le médecin est un personnage important au logis. Aussi, ne faut-il pas s’étonner de voir un ancien rebouteur devenu si familier avec le duc d’Hérouville. A part les liens illégitimes par lesquels son mariage l’avait rattaché à cette grande maison, et qui militaient en sa faveur, le duc avait si souvent éprouvé le grand sens du savant, qu’il en avait fait l’un de ses conseillers favoris. Beauvouloir était le Coyctier de ce Louis XI. Mais, de quelque prix que fût sa science, le médecin n’avait pas, sur le gouverneur de Normandie, en qui respirait toujours la férocité des guerres religieuses, autant d’influence que la féodalité. Aussi, le serviteur avait-il deviné que