Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/210

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ils s’appartinrent dès le premier jour, en se passant l’un à l’autre le sceptre, et jouant avec eux-mêmes comme l’enfant joue avec la vie. Assis et heureux sur ce sable doré, chacun disait à l’autre son passé, douloureux chez celui-ci, mais plein de rêveries ; rêveur chez celle-là, mais plein de souffrants plaisirs.

— Je n’ai pas eu de mère, disait Gabrielle, mais mon père a été bon comme Dieu.

— Je n’ai pas eu de père, répondait l’enfant maudit, mais ma mère a été tout un ciel.

Etienne racontait sa jeunesse, son amour pour sa mère, son goût pour les fleurs. Gabrielle se récriait à ce mot. Questionnée, elle rougissait, se défendait de répondre ; puis, quand une ombre passait sur ce front que la mort semblait effleurer de son aile, sur cette âme visible où les moindres émotions d’Etienne apparaissaient, elle répondait : — C’est que moi aussi j’aimais les fleurs.

N’était-ce pas une déclaration comme les vierges en savent faire, que de se croire liée jusque dans le passé par la communauté des goûts ! L’amour cherche toujours à se vieillir, c’est la coquetterie des enfants.

Etienne apporta des fleurs le lendemain, en ordonnant qu’on lui en cherchât de rares, comme sa mère en faisait jadis chercher pour lui. Sait-on la profondeur à laquelle arrivaient chez un être solitaire les racines d’un sentiment qui reprenait ainsi les traditions de la maternité, en prodiguant à une femme les soins caressants par lesquels sa mère avait charmé sa vie ! Pour lui, quelle grandeur dans ces riens où se confondaient ses deux seules affections ! Les fleurs et la musique devinrent le langage de leur amour. Gabrielle répondit par des bouquets aux envois d’Etienne, de ces bouquets dont un seul avait fait deviner au vieux rebouteur que son ignorante fille en savait déjà trop. L’ignorance matérielle des deux amants formait comme un fond noir sur lequel les moindres traits de leur accointance toute spirituelle se détachaient avec une grâce exquise, comme les profils rouges et si purs des figures étrusques. Leurs moindres paroles apportaient des flots d’idées, car elles étaient le fruit de leurs méditations. Incapables d’inventer la hardiesse, pour eux tout commencement leur semblait une fin. Quoique toujours libres, ils étaient emprisonnés dans une naïveté, qui eût été désespérante si l’un d’eux avait pu donner un sens à ses confus désirs. Ils étaient à la fois les poëtes