Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/213

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vie, la mort de sa mère ; il ne devait y avoir qu’un seul amour, Gabrielle.

La grossière rivalité d’un ambitieux précipita le cours de cette vie de miel. Le duc d’Hérouville, vieux guerrier rompu aux ruses, politique rude mais habile, entendit en lui-même s’élever la voix de la défiance après avoir donné la parole que lui demandait son médecin. Le baron d’Artagnon, lieutenant de sa compagnie d’ordonnance, avait en politique toute sa confiance. Le baron était un homme comme les aimait le duc d’Hérouville, une espèce de boucher, taillé en force, grand, à visage mâle, acerbe et froid, le brave au service du trône, rude en ses manières, d’une volonté de bronze à l’exécution, et souple sous la main ; noble d’ailleurs, ambitieux avec la probité du soldat et la ruse du politique. Il avait la main que supposait sa figure, la main large et velue du condottière. Ses manières étaient brusques, sa parole était brève et concise. Or, le gouverneur avait chargé son lieutenant de surveiller la conduite que tiendrait le médecin auprès du nouvel héritier présomptif. Malgré le secret qui environnait Gabrielle, il était difficile de tromper le lieutenant d’une compagnie d’ordonnance : il entendit le chant de deux voix, il vit de la lumière le soir dans la maison au bord de la mer ; il devina que tous les soins d’Etienne, que les fleurs demandées et ses ordres multipliés concernaient une femme ; puis il surprit la nourrice de Gabrielle par les chemins allant chercher quelques ajustements à Forcalier, emportant du linge, en rapportant un métier ou des meubles de jeune fille. Le soudard voulut voir et vit la fille du rebouteur, il en fut épris. Beauvouloir était riche. Le duc allait être furieux de l’audace du bonhomme. Le baron d’Artagnon basa sur ces événements l’édifice de sa fortune. Le duc, apprenant que son fils était amoureux, voudrait lui donner une femme de grande maison, héritière de quelques domaines ; et pour détacher Etienne de son amour, il suffirait de rendre Gabrielle infidèle en la mariant à un noble dont les terres seraient engagées à quelque Lombard. Le baron n’avait pas de terres. Ces données eussent été excellentes avec les caractères qui se produisent ordinairement dans le monde, mais elles devaient échouer avec Etienne et Gabrielle. Le hasard avait cependant déjà bien servi le baron d’Artagnon.

Pendant son séjour à Paris, le duc avait vengé la mort de Maximilien en tuant l’adversaire de son fils, et il avait avisé pour Etienne