Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/214

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une alliance inespérée avec l’héritière des domaines d’une branche de la maison de Grandlieu, une grande et belle personne dédaigneuse, mais qui fut flattée par l’espérance de porter un jour le titre de duchesse d’Hérouville. Le duc espéra faire épouser à son fils mademoiselle de Grandlieu. En apprenant qu’Etienne aimait la fille d’un misérable médecin, il voulut ce qu’il espérait. Pour lui, cet échange ne faisait pas question. Vous savez si cet homme de politique brutale comprenait brutalement l’amour ! il avait laissé mourir près de lui la mère d’Etienne, sans avoir compris un seul de ses soupirs. Jamais peut-être en sa vie n’avait-il éprouvé de colère plus violente que celle dont il fut saisi quand la dernière dépêche du baron lui apprit avec quelle rapidité marchaient les desseins de Beauvouloir, auquel le capitaine prêta la plus audacieuse ambition. Le duc commanda ses équipages et vint de Paris à Rouen en conduisant à son château la comtesse de Grandlieu, sa sœur la marquise de Noirmoutier, et mademoiselle de Grandlieu, sous le prétexte de leur montrer la province de Normandie. Quelques jours avant son arrivée, sans que l’on sût comment ce bruit se répandait dans le pays, il n’était question, d’Hérouville à Rouen, que de la passion du jeune duc de Nivron pour Gabrielle Beauvouloir, la fille du célèbre rebouteur. Les gens de Rouen en parlèrent au vieux duc précisément au milieu du festin qui lui fut offert, car les convives étaient enchantés de piquer le despote de la Normandie. Cette circonstance excita la colère du gouverneur au dernier point. Il fit écrire au baron de tenir fort secrète sa venue à Hérouville, en lui donnant des ordres pour parer à ce qu’il regardait comme un malheur.

Dans ces circonstances, Etienne et Gabrielle avaient déroulé tout le fil de leur peloton dans l’immense labyrinthe de l’amour, et tous deux, peu inquiets d’en sortir, voulaient y vivre. Un jour, ils étaient restés auprès de la fenêtre où s’accomplirent tant de choses. Les heures, d’abord remplies par de douces causeries, avaient abouti à quelques silences méditatifs. Ils commençaient à sentir en eux-mêmes les vouloirs indécis d’une possession complète : ils en étaient à se confier l’un à l’autre leurs idées confuses, reflets d’une belle image dans deux âmes pures. Durant ces heures encore sereines, parfois les yeux d’Etienne s’emplissaient de larmes pendant qu’il tenait la main de Gabrielle collée à ses lèvres. Comme sa mère, mais en cet instant plus heureux en son amour qu’elle ne l’avait