Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/220

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Vous ne le verrez plus, je viens de recevoir l’ordre de l’arrêter et de l’envoyer à Rouen, sous escorte et enchaîné, dit-il en quittant Gabrielle frappée de terreur.

La jeune fille s’élança dans la maison et y trouva Etienne épouvanté du silence par lequel la nourrice avait répondu à sa première question : — Où est-elle ?

— Me voilà, s’écria la jeune fille dont la voix était glacée, dont les couleurs avaient disparu, dont la démarche était lourde.

— D’où viens-tu, dit-il, tu as crié.

— Oui, je me suis heurtée contre…

— Non, mon amour, répondit Etienne en l’interrompant, j’ai entendu les pas d’un homme.

— Etienne, nous avons sans doute offensé Dieu, mettons-nous à genoux et prions. Je te dirai tout après.

Etienne et Gabrielle s’agenouillèrent au prie-dieu, la nourrice récita son rosaire.

— Mon Dieu, dit la jeune fille dans un élan qui lui fit franchir les espaces terrestres, si nous n’avons pas péché contre vos saints commandements, si nous n’avons offensé ni l’Eglise ni le roi, nous qui ne formons qu’une seule et même personne en qui l’amour reluit comme la clarté que vous avez mise dans une perle de la mer, faites-nous la grâce de ne nous séparer ni dans ce monde ni dans l’autre !

— Chère mère, ajouta Etienne, toi qui es dans les cieux, obtiens de la Vierge que si nous ne pouvons être heureux, Gabrielle et moi, nous mourions au moins ensemble, sans souffrir. Appelle-nous, nous irons à toi !

Puis, ayant récité leurs prières du soir, Gabrielle raconta son entretien avec le baron d’Artagnon.

— Gabrielle, dit le jeune homme en puisant du courage dans son désespoir d’amour, je saurai résister à mon père.

Il la baisa au front et non plus sur les lèvres ; puis il revint au château, résolu d’affronter l’homme terrible qui pesait tant sur sa vie. Il ne savait pas que la maison de Gabrielle allait être gardée par des soldats aussitôt qu’il l’aurait quittée.

Le lendemain, Etienne fut accablé de douleur quand, en allant voir Gabrielle, il la trouva prisonnière ; mais Gabrielle envoya sa nourrice pour lui dire qu’elle mourrait plutôt que de le trahir ; que d’ailleurs elle avait trouvé le moyen de tromper la vigilance des gardes,