Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/230

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

boutiquier patriote ; ce fut de mettre le feu à la maison. Mais il se trouvait seul, sans moyens d’action ; le centre de la bataille était sur la grande place où quelques entêtés se défendaient encore. D’ailleurs, il lui survint une meilleure idée. Diard sortit du couvent, Montefiore ne lui dit rien de sa découverte, et alla faire plusieurs courses avec lui dans la ville. Mais, le lendemain, le capitaine italien fut militairement logé chez le marchand de draperies. N’était-ce pas la demeure naturelle d’un capitaine d’habillement ?

La maison de ce bon Espagnol était composée au rez-de-chaussée d’une vaste boutique sombre, extérieurement armée de gros barreaux en fer, comme le sont à Paris les vieux magasins de la rue des Lombards. Cette boutique communiquait avec un parloir éclairé par une cour intérieure, grande chambre où respirait tout l’esprit du moyen âge : vieux tableaux enfumés, vieilles tapisseries, antique brazero, le chapeau à plumes suspendu à un clou, le fusil des guérillas et le manteau de Bartholo. La cuisine attenait à ce lieu de réunion, à cette pièce unique où l’on mangeait, où l’on se réchauffait à la sourde lueur du brasier, en fumant des cigares, en discourant pour animer les cœurs à la haine contre les Français. Des brocs d’argent, de la vaisselle précieuse, ornaient une crédence, à la mode ancienne. Mais le jour, parcimonieusement distribué, ne laissait briller que faiblement les objets éclatants ; et, comme dans un tableau de l’école hollandaise, là tout devenait brun, même les figures. Entre la boutique et ce salon si beau de couleur et de vie patriarcale, se trouvait un escalier assez obscur qui conduisait à un magasin où des jours, habilement pratiqués, permettaient d’examiner les étoffes. Puis, au-dessus, était l’appartement du marchand et de sa femme. Enfin, le logement de l’apprenti et d’une servante avait été ménagé dans une mansarde établie sous un toit en saillie sur la rue, et soutenue par des arcs-boutants qui prêtaient à ce logis une physionomie bizarre ; mais leurs chambres furent prises par le marchand et par sa femme, qui abandonnèrent à l’officier leur propre appartement, sans doute afin d’éviter toute querelle.

Montefiore se donna pour un ancien sujet de l’Espagne, persécuté par Napoléon et qui le servait contre son gré ; ces demi-mensonges eurent le succès qu’il en attendait. Il fut invité à partager le repas de la famille, comme le voulaient son nom, sa naissance et son titre. Montefiore avait ses raisons en cherchant à capter la bienveillance