Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/262

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ne trouva point de place dans l’État ; la société lui refusa logiquement celle à laquelle il prétendait dans la société. Enfin, chez lui, ce malheureux éprouvait en toute occasion la supériorité de sa femme. Quoiqu’elle usât d’un tact il faudrait dire velouté, si l’épithète n’était trop hardie, pour déguiser à son mari cette suprématie qui l’étonnait elle-même, et dont elle était humiliée, Diard finit par en être affecté. Nécessairement, à ce jeu, les hommes s’abattent, se grandissent ou deviennent mauvais. Le courage ou la passion de cet homme devaient donc s’amoindrir sous les coups réitérés que ses fautes portaient à son amour-propre, et il faisait faute sur faute. D’abord, il avait tout à combattre, même ses habitudes et son caractère. Passionné Provençal, franc dans ses vices autant que dans ses vertus, cet homme, dont les fibres ressemblaient à des cordes de harpe, fut tout cœur pour ses anciens amis. Il secourut les gens crottés aussi bien que les nécessiteux de haut rang ; bref, il avoua tout le monde, et donna, dans son salon doré, la main à de pauvres diables. Voyant cela, le général de l’Empire, variation de l’espèce humaine dont bientôt aucun type n’existera plus, n’offrit pas son accolade à Diard, et lui insolemment : — Mon cher ! en l’abordant. Là où les généraux déguisèrent leur insolence sous leur bonhomie soldatesque, le peu de gens de bonne compagnie que voyait Diard lui témoignèrent ce mépris élégant, verni, contre lequel un homme nouveau est presque toujours sans armes. Enfin le maintien, la gesticulation italienne à demi, le parler de Diard, la manière dont il s’habillait, tout en lui repoussait le respect que l’observation exacte des choses voulues par le bon ton fait acquérir aux gens vulgaires, et dont le joug ne peut être secoué que par les grands pouvoirs. Ainsi va le monde.

Ces détails peignent faiblement les mille supplices auxquels Juana fut en proie, ils vinrent un à un ; chaque nature sociale lui apporta son coup d’épingle ; et, pour une âme qui préfère les coups de poignard, n’y avait-il pas d’atroces souffrances dans cette lutte où Diard recevait des affronts sans les sentir, et où Juana les sentait sans les recevoir ? Puis un moment arriva, moment épouvantable, où elle eut du monde une perception lucide, et ressentit à la fois toutes les douleurs qui s’y étaient d’avance amassées pour elle. Elle jugea son mari tout à fait incapable de monter les hauts échelons de l’ordre social, et devina jusqu’où il devait en descendre le jour où le cœur lui faudrait. Là, Juana prit Diard en pitié.