Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/264

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puis froissé, finit par voir un joug pour lui dans cette haute vertu. La sagesse de sa femme ne lui donnait point d’émotions violentes, et il souhaitait des émotions. Il se trouve des milliers de scènes jouées au fond des âmes, sous ces froides déductions d’une existence en apparence simple et vulgaire. Entre tous ces petits drames, qui durent si peu, mais qui entrent si avant dans la vie, et sont presque toujours les présages de la grande infortune écrite dans la plupart des mariages, il est difficile de choisir un exemple. Cependant il est une scène qui servit plus particulièrement à marquer le moment où, dans cette vie à deux, la mésintelligence commença. Peut-être servira-t-elle à expliquer le dénoûment de cette histoire.

Juana avait deux enfants, deux garçons, heureusement pour elle. Le premier était venu sept mois après son mariage. Il se nommait Juan, et ressemblait à sa mère. Elle avait eu le second, deux ans après son arrivée à Paris. Celui-là ressemblait également à Diard et à Juana, mais beaucoup plus à Diard, il en portait les noms. Depuis cinq ans, Francisque était pour Juana l’objet des soins les plus tendres. Constamment la mère s’occupait de cet enfant : à lui les caresses mignonnes, à lui les joujoux ; mais à lui surtout les regards pénétrants de la mère ; Juana l’avait épié dès le berceau, elle en avait étudié les cris, les mouvements ; elle voulait en deviner le caractère pour en diriger l’éducation. Il semblait que Juana n’eût que cet enfant. Le Provençal, voyant Juan presque dédaigné, le prit cous sa protection ; et, sans s’expliquer si ce petit était l’enfant de l’amour éphémère auquel il devait Juana, ce mari, par une espèce de flatterie admirable, en fit son Benjamin. De tous les sentiments dus au sang de ses aïeules, et qui la dévoraient, madame Diard n’accepta que l’amour maternel. Mais elle aimait ses enfants et avec la violence sublime dont l’exemple a été donné par la Marana qui agit dans le préambule de cette histoire, et avec la gracieuse pudeur, avec l’entente délicate des vertus sociales dont la pratique était la gloire de sa vie et sa récompense intime. La pensée secrète, la consciencieuse maternité, qui avaient imprimé à la vie de la Marana un cachet de poésie rude, étaient pour Juana une vie avouée, une consolation de toutes les heures. Sa mère avait été vertueuse comme les autres femmes sont criminelles, à la dérobée ; elle avait volé son bonheur tacite ; elle n’en avait pas joui. Mais Juana, malheureuse par la vertu, comme sa mère était malheureuse par le