Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/266

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Diard et Juana, spectateurs de cette scène, en furent bien diversement affectés. Le regard humide de joie que sa femme jeta sur l’aîné révéla fatalement au mari les secrets de ce cœur impénétrable jusqu’alors. L’aîné, c’était tout Juana ; l’aîné, Juana le connaissait ; elle était sûre de son cœur, de son avenir ; elle l’adorait, et son ardent amour pour lui restait un secret pour elle, pour son enfant et Dieu. Juan jouissait instinctivement des brusqueries de sa mère, qui le serrait à l’étouffer quand ils étaient seuls, et qui paraissait le bouder en présence de son frère et de son père. Francisque était Diard, et les soins de Juana trahissaient le désir de combattre chez cet enfant les vices du père, et d’en encourager les bonnes qualités. Juana, ne sachant pas que son regard avait trop parlé, prit Francisque sur elle et lui fit, d’une voix douce, mais émue encore par le plaisir qu’elle ressentait de la réponse de Juan, une leçon appropriée à son intelligence.

— Son caractère exige de grands soins, dit le père à Juana.

— Oui, répondit-elle simplement.

— Mais Juan !

Madame Diard, effrayée de l’accent avec lequel ces deux mots furent prononcés, regarda son mari.

— Juan est né parfait, ajouta-t-il. Ayant dit, il s’assit d’un air sombre ; et, voyant sa femme silencieuse, il reprit : — Il y a un de vos enfants que vous aimez mieux que l’autre.

— Vous le savez bien, dit-elle.

— Non ! répliqua Diard, j’ai jusqu’à présent ignoré celui que vous préfériez.

— Mais ils ne m’ont encore donné de chagrin ni l’un ni l’autre, répondit-elle vivement.

— Oui, mais qui vous a donné le plus de joies ? demanda-t-il plus vivement encore.

— Je ne les ai pas comptées.

— Les femmes sont bien fausses, s’écria Diard. Osez dire que Juan n’est pas l’enfant de votre cœur.

— Si cela est, reprit-elle avec noblesse, voulez-vous que ce soit un malheur.

— Vous ne m’avez jamais aimé. Si vous l’eussiez voulu, pour vous, j’aurais pu conquérir des royaumes. Vous savez tout ce que j’ai tenté, n’étant soutenu que par le désir de vous plaire. Ah ! si vous m’eussiez aimé…