Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/279

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pour arriver à des vérités cachées sous les actions les plus contradictoires, il est impossible que l’exercice de leur épouvantable sacerdoce ne dessèche pas à la longue la source des émotions généreuses qu’ils sont contraints de mettre en doute. Si les sens du chirurgien qui va fouillant les mystères du corps finissent par se blaser, que devient la conscience du juge obligé de fouiller incessamment les replis de l’âme ? Premiers martyrs de leur mission, les magistrats marchent toujours en deuil de leurs illusions perdues, et le crime ne pèse pas moins sur eux que sur les criminels. Un vieillard assis sur un tribunal est sublime, mais un juge jeune ne fait-il pas frémir ? Or, ce juge d’instruction était jeune, et il fut obligé de dire au procureur du roi : — Croyez-vous que la femme soit complice du mari ? Faut-il instruire contre elle ? Etes-vous d’avis de l’interroger ?

Le procureur du roi répondit en faisant un geste d’épaules fort insouciant.

— Montefiore et Diard, ajouta-t-il, étaient deux mauvais sujets connus. La femme de chambre ne savait rien du crime. Restons-en là.

Le médecin opérait, visitait Diard, et dictait son procès-verbal au greffier. Tout à coup il s’élança dans la chambre de Juana.

— Madame…

Juana, ayant déjà quitté sa robe ensanglantée, vint au-devant du docteur.

— C’est vous, lui dit-il, en se penchant à l’oreille de l’Espagnole, qui avez tué votre mari.

— Oui, monsieur.

… Et, de cet ensemble de faits… continua le médecin en dictant, il résulte pour nous que le nommé Diard s’est volontairement et lui-même donné la mort.

— Avez-vous fini ? demanda-t-il au greffier après une pause.

— Oui, dit le scribe.

Le médecin signa, Juana lui jeta un regard, en réprimant avec peine des larmes qui lui humectèrent passagèrement les yeux.

— Messieurs, dit-elle an procureur du roi, je suis étrangère, Espagnole. J’ignore les lois, je ne connais personne à Bordeaux, je réclame de vous un bon office. Faites-moi donner un passe-port pour l’Espagne…