Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/29

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toutes les autres capitales de l’Italie ; aussi la Fenice était-elle pleine ce soir-là.

Les cinq heures de nuit que l’on passe au théâtre jouent un si grand rôle dans la vie italienne, qu’il n’est pas inutile d’expliquer les habitudes créées par cette manière d’employer le temps. En Italie, les loges diffèrent de celles des autres pays, en ce sens que partout ailleurs les femmes veulent être vues, et que les Italiennes se soucient fort peu de se donner en spectacle. Leurs loges forment un carré long également coupé en biais et sur le théâtre et sur le corridor. A droite et à gauche sont deux canapés, à l’extrémité desquels se trouvent deux fauteuils, l’un pour la maîtresse de la loge, l’autre pour sa compagne, quand elle en amène une. Ce cas est assez rare. Chaque femme est trop occupée chez elle pour faire des visites ou pour aimer à en recevoir ; aucune d’ailleurs ne se soucie de se procurer une rivale. Ainsi, une Italienne règne presque toujours sans partage dans sa loge : là, les mères ne sont point esclaves de leurs filles, les filles ne sont point embarrassées de leurs mères ; en sorte que les femmes n’ont avec elles ni enfants ni parents qui les censurent, les espionnent, les ennuient ou se jettent au travers de leurs conversations. Sur le devant, toutes les loges sont drapées en soie d’une couleur et d’une façon uniformes. De cette draperie pendent des rideaux de même couleur qui restent fermés quand la famille à laquelle la loge appartient est en deuil. A quelques exceptions près, et à Milan seulement, les loges ne sont point éclairées intérieurement ; elles ne tirent leur jour que de la scène ou d’un lustre peu lumineux, que, malgré de vives protestations, quelques villes ont laissé mettre dans la salle ; mais, à la faveur des rideaux, elles sont encore assez obscures, et, par la manière dont elles sont disposées, le fond est assez ténébreux pour qu’il soit très-difficile de savoir ce qui s’y passe. Ces loges, qui peuvent contenir environ huit à dix personnes, sont tendues en riches étoffes de soie, les plafonds sont agréablement peints et allégis par des couleurs claires, enfin les boiseries sont dorées. On y prend des glaces et des sorbets, on y croque des sucreries, car il n’y a plus que les gens de la classe moyenne qui y mangent. Chaque loge est une propriété immobilière d’un haut prix, il en est d’une valeur de trente mille livres ; à Milan, la famille Litta en possède trois qui se suivent. Ces faits indiquent la haute importance attachée à ce détail de la vie oisive. La causerie est souveraine absolue dans cet espace, qu’un des écrivains