Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/339

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rondes. Après l’impétuosité de la jeunesse, il allait s’élancer par une brèche pour descendre rapidement les rochers, et parvenir ainsi plus tôt que par le chemin ordinaire à un petit poste placé à l’entrée de la ville du côté du château, quand un faible bruit l’arrêta dans sa course. Il crut entendre le sable des allées crier sous le pas léger d’une femme. Il retourna la tête et ne vit rien ; mais ses yeux furent saisis par l’éclat extraordinaire de l’Océan. Il y aperçut tout d’un coup un spectacle si funeste, qu’il demeura immobile, de surprise, en accusant ses sens d’erreur. Les rayons blanchissants de la lune lui permirent de distinguer des voiles à une assez grande distance. Il tressaillit, et tâcha de se convaincre que cette vision était un piège d’optique offert par les fantaisies des ondes et de la lune. En ce moment, une voix enrouée prononça le nom de l’officier, qui regarda vers la brèche, et vit s’y élever lentement la tête du soldat par lequel il s’était fait accompagner au château.

— Est-ce vous, mon commandant ?

— Oui. Eh bien ? lui dit à voix basse le jeune homme, qu’une sorte de pressentiment avertit d’agir avec mystère. -- Ces gredins-là se remuent comme des vers, et je me hâte, si vous me le permettez, de vous communiquer mes petites observations.

— Parle, répondit Victor Marchand.

— Je viens de suivre un homme du château qui s’est dirigé par ici une lanterne à la main. Une lanterne est furieusement suspecte ! je ne crois pas que ce chrétien-là ait besoin d’allumer des cierges à cette heure-ci. Ils veulent nous manger ! que je me suis dit, et je me suis mis à lui examiner les talons. Aussi, mon commandant ai-je, découvert à trois pas d’ici, sur un quartier de roche, un certain amas de fagots.

Un cri terrible qui tout à coup retentit dans la ville, interrompit le soldat. Une lueur soudaine éclaira le commandant. Le pauvre grenadier reçut une balle dans la tête et tomba. Un feu de paille et de bois sec brillait comme un incendie à dix pas du jeune homme. Les instruments et les rires cessaient de se faire entendre dans la salle du bal. Un silence de mort, interrompu par des gémissements, avait soudain remplacé les rumeurs et la musique de la fête. Un coup de canon retentit sur la plaine de l’Océan. Une sueur froide coula sur le front du jeune officier. Il était sans épée. Il comprenait que ses soldats avaient péri et que les Anglais