Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/404

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

jusque dans cette chambre funèbre. Don Juan voulut ne rien entendre de cette sauvage affirmation donnée à son père.

Bartholoméo dit : « Je ne t’en veux pas, mon enfant. »

Ce mot plein de douceur fit mal à don Juan, qui ne pardonna pas à son père cette poignante bonté.

— Quel remords pour moi, mon père ! lui dit-il hypocritement.

— Pauvre Juanino, reprit le mourant d’une voix sourde, j’ai toujours été si doux pour toi que tu ne saurais désirer ma mort ?

— Oh ! s’écria don Juan, s’il était possible de vous rendre la vie en donnant une partie de la mienne ! (Ces choses-là peuvent toujours se dire, pensait le dissipateur, c’est comme si j’offrais le monde à ma maîtresse !) À peine sa pensée était-elle achevée, que le vieux barbet aboya. Cette voix intelligente fit frémir don Juan, il crut avoir été compris par le chien.

— Je savais bien, mon fils, que je pouvais compter sur toi, s’écria le moribond. Je vivrai. Va, tu seras content. Je vivrai, mais sans enlever un seul des jours qui t’appartiennent.

— Il a le délire, se dit don Juan. Puis il ajouta tout haut : « Oui, mon père chéri, vous vivrez, certes, autant que moi, car votre image sera sans cesse dans mon cœur. »

— Il ne s’agit pas de cette vie-là, dit le vieux seigneur en rassemblant ses forces pour se dresser sur son séant, car il fut ému par un de ces soupçons qui ne naissent que sous le chevet des mourants. « Écoute, mon fils, reprit-il d’une voix affaiblie par ce dernier effort, je n’ai pas plus envie de mourir que tu ne veux te passer de maîtresses, de vin, de chevaux, de faucons, de chiens et d’or.

— Je le crois bien, pensa encore le fils en s’agenouillant au chevet du lit et en baisant une des mains cadavéreuses de Bartholoméo. « Mais, reprit-il à haute voix, mon père, mon cher père, il faut se soumettre à la volonté de Dieu. »

— Dieu, c’est moi, reprit le vieillard en grommelant.

— Ne blasphémez pas, s’écria le jeune homme en voyant l’air menaçant que prirent les traits de son père. Gardez-vous-en bien, vous avez reçu l’extrême-onction, et je ne me consolerais pas de vous voir mourir en état de péché.

— Veux-tu m’écouter ! s’écria le mourant dont la bouche grinça.

Don Juan se tut. Un horrible silence régna. À travers les sifflements lourds de la neige, les accords de la viole et la voix délicieuse