Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/427

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— Hélas ! reprit le cavalier, je n’ai pas compté sur le trouble où je suis en me trouvant près de vous, en vous entendant me parler. J’ai conçu deux ou trois plans, et maintenant tout me semble accompli, puisque je vous vois.

— Mais je suis perdue, dit la comtesse.

— Nous sommes sauvés, répliqua le gentilhomme avec l’aveugle enthousiasme de l’amour. Ecoutez-moi bien.

— Ceci me coûtera la vie, reprit-elle en laissant couler les larmes qui roulaient dans ses yeux. Le comte me tuera ce soir peut-être ! Mais, allez chez le roi, racontez-lui les tourments que depuis cinq ans sa fille a endurés. Il m’aimait bien quand j’étais petite, et m’appelait en riant : Marie-pleine-de-grâce, parce que j’étais laide. Ah ! s’il savait à quel homme il m’a donnée, il se mettrait dans une terrible colère. Je n’ai pas osé me plaindre, par pitié pour le comte. D’ailleurs, comment ma voix parviendrait-elle au roi ? Mon confesseur lui-même est un espion de Saint-Vallier. Aussi me suis-je prêtée à ce coupable enlèvement, dans l’espoir de conquérir un défenseur. Mais puis-je me fier à… -- Oh ! dit-elle en pâlissant et s’interrompant, voici le page.

La pauvre comtesse se fit comme un voile avec ses mains pour se cacher la figure.

— Ne craignez rien, reprit le jeune seigneur, il est gagné ! Vous pouvez vous servir de lui en toute assurance, il m’appartient. Quand le comte viendra vous chercher, il nous préviendra de son arrivée. -- Dans ce confessionnal, ajouta-t-il à voix basse, est un chanoine de mes amis qui sera censé vous avoir retirée de la bagarre, et mise sous sa protection dans cette chapelle. Ainsi, tout est prévu pour tromper Saint-Vallier.

A ces mots, les larmes de la comtesse se séchèrent, mais une expression de tristesse vint rembrunir son front.

— On ne le trompe pas ! dit-elle. Ce soir, il saura tout, prévenez ses coups ? Allez au Plessis, voyez le roi, dites-lui que… Elle hésita. Mais quelque souvenir lui ayant donné le courage d’avouer les secrets du mariage : -- Eh ! bien, oui, reprit-elle, dites-lui que, pour se rendre maître de moi, le comte me fait saigner aux deux bras, et m’épuise. Dites qu’il m’a traînée par les cheveux, dites que je suis prisonnière, dites que…

Son cœur se gonfla, les sanglots expirèrent dans son gosier, quelques larmes tombèrent de ses yeux : et dans son agitation, elle