Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/51

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images, par la vérité de sa déclamation. Cette scène de douleur, cette nuit profonde, ces cris de désespoir, ce tableau musical, est beau comme le Déluge de votre grand Poussin.

Moïse agita sa baguette, le jour parut.

— Ici, monsieur, la musique ne lutte-t-elle pas avec le soleil dont elle a emprunté l’éclat, avec la nature entière dont elle rend les phénomènes dans les plus légers détails ? reprit la duchesse à voix basse. Ici, l’art atteint à son apogée, aucun musicien n’ira plus loin. Entendez-vous l’Égypte se réveillant après ce long engourdissement ? Le bonheur se glisse partout avec le jour. Dans quelle œuvre ancienne ou contemporaine rencontrerez-vous une si grande page ? la plus splendide joie opposée à la plus profonde tristesse ? Quels cris ! quelles notes sautillantes ! comme l’âme oppressée respire, quel délire, quel tremolo dans cet orchestre, le beau tutti. C’est la joie d’un peuple sauvé ! Ne tressaillez-vous pas de plaisir ?

Le médecin, surpris par ce contraste, un des plus magnifiques de la musique moderne, battit des mains, emporté par son admiration.

— Bravo la Doni ! fit Vendramin qui avait écouté.

— L’introduction est finie, reprit la duchesse. Vous venez d’éprouver une sensation violente, dit-elle au médecin ; le cœur vous bat, vous avez vu dans les profondeurs de votre imagination le plus beau soleil inondant de ses torrents de lumière tout un pays, morne et froid naguère. Sachez maintenant comment s’y est pris le musicien, afin de pouvoir l’admirer demain dans les secrets de son génie après en avoir aujourd’hui subi l’influence. Que croyez-vous que soit ce morceau du lever du soleil, si varié, si brillant, si complet ? Il consiste dans un simple accord d’ut, répété sans cesse, et auquel Rossini n’a mêlé qu’un accord de quart de sixte. En ceci éclate la magie de son faire. Il a procédé, pour vous peindre l’arrivée de la lumière, par le même moyen qu’il employait pour vous peindre les ténèbres et la douleur. Cette aurore en images est absolument pareille à une aurore naturelle. La lumière est une seule et même substance, partout semblable à elle-même, et dont les effets ne sont variés que par les objets qu’elle rencontre, n’est-ce pas ? Eh ! bien, le musicien a choisi pour la base de sa musique, un unique motif, un simple accord d’ut. Le soleil apparaît d’abord et verse ses rayons sur les cimes, puis de là dans les vallées. De même l’accord poind