Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/526

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— Cette parole, mon prince, suffit déjà, reprit Christophe sans songer que ce factieux était un Gascon. Nous sommes dans un temps où chacun, prince ou bourgeois, doit faire son devoir.

— Voilà un vrai Huguenot. Si tous nos hommes étaient ainsi, dit la Renaudie en posant une main sur l’épaule de Christophe, nous serions demain les maîtres.

— Jeune homme, reprit le prince, j’ai voulu vous montrer que si Chaudieu prêche, si le gentilhomme est armé, le prince se bat. Ainsi dans cette chaude partie tous les enjeux se valent.

— Écoutez, dit la Renaudie, je ne vous remettrai les papiers qu’à Beaugency, car il ne faut pas les compromettre pendant tout le voyage. Vous me trouverez sur le port : ma figure, ma voix, mes vêtements seront si changés, que vous ne pourrez me reconnaître. Mais je vous dirai : Vous êtes un guêpin ? et vous me répondrez : Prêt à servir. Quant à l’exécution, voici les moyens. Vous trouverez un cheval à la Pinte-Fleurie, proche Saint-Germain-l’Auxerrois. Vous y demanderez Jean-le-Breton, qui vous mènera à l’écurie, et vous donnera l’un de mes bidets connu pour faire ses trente lieues en huit heures. Sortez par la porte de Bussy, Breton a une passe pour moi, prenez-la pour vous, et filez en faisant le tour des villes. Vous pourrez ainsi arriver au petit jour à Orléans.

— Et le cheval ? dit le jeune Lecamus.

— Il ne crèvera pas avant Orléans, reprit la Renaudie. Laissez-le avant l’entrée du faubourg Bannier, car les portes sont bien gardées il ne faut pas éveiller les soupçons. À vous, l’ami, à bien jouer votre rôle. Vous inventerez la fable qui vous paraîtra la meilleure pour arriver à la troisième maison à gauche en entrant dans Orléans ; elle appartient à un certain Tourillon, gantier. Vous frapperez trois coups à la porte en criant : – Service de messieurs de Guise ! L’homme est en apparence un guisard enragé, mais il n’y a que nous quatre qui le sachions des nôtres ; il vous donnera un batelier dévoué, un autre guisard de sa trempe, bien entendu. Descendez incontinent au port, vous vous y embarquerez sur un bateau peint en vert et bordé de blanc. Vous aborderez sans doute à Beaugency demain matin à midi. Là, je vous ferai trouver une barque sur laquelle vous descendrez à Blois sans courir de dangers. Nos ennemis les Guise ne gardent pas la Loire, mais seulement les ports. Ainsi, vous pourrez voir la reine dans la journée ou le lendemain.