Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/527

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— Vos paroles sont gravées là, dit Christophe en montrant son front.

Chaudieu embrassa son enfant avec une singulière effusion religieuse, il en était fier.

— Dieu veille sur toi ! dit-il en montrant le couchant qui rougissait les vieux toits couverts en bardeau et qui glissait ses lueurs à travers la forêt de poutres où bouillonnaient les eaux.

— Vous êtes de la race du vieux Jacques Bonhomme ! dit la Renaudie à Christophe en lui serrant la main.

— Nous nous reverrons, monsieur, lui dit le prince en faisant un geste d’une grâce infinie et où il y avait presque de l’amitié.

D’un coup de rame, la Renaudie mit le jeune conspirateur sur une marche de l’escalier qui conduisait dans la maison, et la barque disparut aussitôt sous les arches du Pont-au-Change.

Christophe secoua la grille en fer qui fermait l’escalier sur la rivière et cria ; mademoiselle Lecamus l’entendit, ouvrit une des croisées de l’arrière-boutique et lui demanda comment il se trouvait là. Christophe répondit qu’il gelait et qu’il fallait d’abord le faire entrer.

— Notre maître, dit la Bourguignonne, vous êtes sorti par la porte de la rue, et vous revenez par celle de l’eau ? Votre père va joliment se fâcher.

Christophe, étourdi par une confidence qui venait de le mettre en rapport avec le prince de Condé, la Renaudie, Chaudieu, et encore plus ému du spectacle anticipé d’une guerre civile imminente, ne répondit rien, il monta précipitamment de la cuisine à l’arrière-boutique ; mais en le voyant, sa mère, vieille catholique enragée, ne put retenir sa colère.

— Je gage que les trois hommes avec lesquels tu causais là sont des Réf… demanda-t-elle.

— Tais-toi, ma femme, dit aussitôt le prudent vieillard en cheveux blancs qui feuilletait un gros livre. — Grands fainéants, reprit-il en s’adressant à trois jeunes garçons qui depuis longtemps avaient fini leur souper, qu’attendez-vous pour aller dormir ? Il est huit heures, il faudra vous lever à cinq heures du matin. Vous avez d’ailleurs à porter chez le président de Thou son mortier et sa robe. Allez-y tous trois en prenant vos bâtons et vos rapières. Si vous rencontrez des vauriens comme vous, au moins serez-vous en force.