Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/533

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— Hum ! hum ! fit le vieillard en regardant son fils, le drôle veut trupher son père, il ira loin. — Or çà, reprit-il à voix basse, tu ne vas pas à la cour pour porter des avances à messieurs de Guise ni au petit roi notre maître, ni à la petite reine Marie. Tous ces cœurs-là sont catholiques ; mais je jurerais bien que l’Italienne a quelque chose contre l’Écossaise et contre les Lorrains, je la connais : elle avait une furieuse envie de mettre la main à la pâte ! le feu roi la craignait si bien qu’il a fait comme les orfèvres, il a usé le diamant par le diamant, une femme par une autre. De là, cette haine de la reine Catherine contre la pauvre duchesse de Valentinois, à qui elle a pris le beau château de Chenonceaux. Sans monsieur le connétable, la duchesse était pour le moins étranglée… Arrière, mon fils, ne te mets pas entre les mains de cette Italienne qui n’a de passion que dans la cervelle : mauvaise espèce de femme ! Oui, ce qu’on t’envoie faire à la cour te causera peut-être un grand mal de tête, s’écria le père en voyant Christophe prêt à répondre. Mon enfant, j’ai des projets pour ton avenir, tu ne les dérangerais pas en te rendant utile à la reine Catherine ; mais, Jésus ! ne risque point ta tête ! et ces messieurs de Guise la couperaient comme la Bourguignonne coupe un navet, car les gens qui t’emploient te désavoueront entièrement.

— Je le sais, mon père, dit Christophe.

— Es-tu donc aussi fort que cela ? Tu le sais et tu te risques !

— Oui, mon père.

— Ventre de loup-cervier, s’écria le père qui serra son fils dans ses bras, nous pourrons nous entendre : tu es digne de ton père. Mon enfant, tu seras l’honneur de la famille, et je vois que ton vieux père peut s’expliquer avec toi. Mais ne sois pas plus Huguenot que messieurs de Coligny ? Ne tire pas l’épée, tu seras homme de plume, reste dans ton futur rôle de robin. Allons, ne me dis rien qu’après la réussite. Si tu ne m’as rien fait savoir quatre jours après ton arrivée à Blois, ce silence me dira que tu seras en danger. Le vieillard ira sauver le jeune homme. Je n’ai pas vendu pendant trente-deux ans des fourrures sans connaître l’envers des robes de cour. J’aurai de quoi me faire ouvrir les portes.

Christophe ouvrait de grands yeux en entendant son père parler ainsi, mais il craignit quelque piége paternel et garda le silence.

— Eh ! bien, faites le compte, écrivez une lettre à la reine, je veux partir à l’instant, sans quoi les plus grands malheurs arriveraient.