Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/554

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— Faites de l’hérésie une hache ! dit Albert de Gondi, vous n’aurez pas l’odieux des supplices.

— Eh ! s’écria la reine, j’ignore les forces et les plans de ces gens, je ne puis communiquer avec eux par aucun intermédiaire sûr. Si j’étais surprise à quelque machination de ce genre, soit par la reine qui me couve des yeux comme un enfant au berceau, soit par ces deux geôliers qui ne laissent entrer personne au château, je serais bannie du royaume et reconduite à Florence avec une terrible escorte, commandée par quelque guisard forcené ! Merci, mes amis ! Oh ! ma bru, je vous souhaite d’être quelque jour prisonnière chez vous, vous saurez alors ce que vous me faites souffrir.

— Leurs plans ! s’écria Chiverni, le Grand-Maître et le cardinal les connaissent ; mais ces deux renards ne les disent pas ; sachez, madame, les leur faire dire, et je me dévouerai pour vous en m’entendant avec le prince de Condé.

— Quelles sont celles de leurs décisions qu’ils n’ont pas pu vous cacher ? demanda la reine en montrant les deux frères.

— Monsieur de Vieilleville et monsieur de Saint-André viennent de recevoir des ordres qui nous sont inconnus ; mais il paraît que le Grand-Maître concentre ses meilleures troupes sur la rive gauche. Sous peu de jours, vous serez à Amboise. Le Grand-Maître est venu sur cette terrasse examiner la position et ne trouve pas que Blois soit propice à ses desseins secrets. Or, que veut-il donc ? dit Chiverni en montrant les précipices qui entourent le château. En aucune place la cour ne saurait être plus à l’abri d’un coup de main qu’elle ne l’est ici.

— Abdiquez ou régnez, dit Albert à l’oreille de la reine qui restait pensive.

Une terrible expression de rage intérieure passa sur le beau visage d’ivoire de la reine, qui n’avait pas encore quarante ans et qui vivait depuis vingt-six ans sans aucun pouvoir à la cour de France, elle qui, depuis son arrivée, y voulut jouer le premier rôle. Cette épouvantable phrase sortit de ses lèvres dans la langue de Dante : — Rien tant que ce fils vivra ! sa petite femme l’ensorcèle, ajouta-t-elle après une pause.

L’exclamation de Catherine était inspirée par l’étrange prédiction qui lui fut faite peu de jours auparavant au château de Chaumont, sur la rive opposée de la Loire où elle fut conduite par Ruggieri, son astrologue, pour y consulter sur la vie de ses quatre enfants