Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/58

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libertin aux prises avec ses victimes qui invoquent la vengeance céleste ; tandis qu’ici la terre et ses puissances essaient de combattre contre Dieu. Deux peuples, l’un faible, l’autre fort, sont en présence. Aussi, comme il avait à sa disposition tous les moyens, Rossini les a-t-il savamment employés. Il a pu sans être ridicule vous exprimer les mouvements d’une tempête furieuse sur laquelle se détachent d’horribles imprécations. Il a procédé par accords plaqués sur un rhythme en trois temps avec une sombre énergie musicale, avec une persistance qui finit par vous gagner. La fureur des Egyptiens surpris par une pluie de feu, les cris de vengeance des Hébreux voulaient des masses savamment calculées ; aussi voyez comme il a fait marcher le développement de l’orchestre avec les chœurs ? L’allegro assai en ut mineur est terrible au milieu de ce déluge de feu. Avouez, dit la duchesse au moment où en levant sa baguette Moïse fait tomber la pluie de feu et où le compositeur déploie toute sa puissance à l’orchestre et sur la scène, que jamais musique n’a plus savamment rendu le trouble et la confusion ?

— Elle a gagné le parterre, dit le Français.

— Mais qu’arrive-t-il encore ? le parterre est décidément très agité, reprit la duchesse.

Au finale, Genovese avait donné dans de si absurdes gargouillades en regardant la Tinti, que le tumulte fut à son comble au parterre, dont les jouissances étaient troublées. Il n’y avait rien de plus choquant pour ces oreilles italiennes que ce contraste du bien et du mal. L’entrepreneur prit le parti de comparaître, et dit que sur l’observation par lui faite à son premier homme, il signor Genovese avait répondu qu’il ignorait en quoi et comment il avait pu perdre la faveur du public, au moment même où il essayait d’atteindre à la perfection de son art.

— Qu’il soit mauvais comme hier, nous nous en contenterons ! répondit Capraja d’une voix furieuse.

Cette apostrophe remit le parterre en belle humeur. Contre la coutume italienne, le ballet fut peu écouté. Dans toutes les loges, il n’était question que de la singulière conduite de Genovese, et de l’allocution du pauvre entrepreneur. Ceux qui pouvaient entrer dans les coulisses s’empressèrent d’aller y savoir le secret de la comédie, et bientôt il ne fut plus question que d’une scène horrible faite par la Tinti à son camarade Genovese, dans laquelle la prima donna reprochait au ténor d’être jaloux de son succès, de l’avoir