Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/594

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d’une flamme. Aux deux autres coins, il laissa échapper un gémissement horrible. Quand il vit prendre les coins de la question extraordinaire, il se tut ; mais son regard contracta une fixité si violente, et jetait aux deux seigneurs qui le contemplaient un fluide si pénétrant, que le duc et le cardinal furent obligés de baisser les yeux. La même défaite fut essuyée par Philippe le Bel quand il fit donner la question du balancier en sa présence aux Templiers. Ce supplice consistait à soumettre la poitrine du patient au coup d’une des branches du balancier avec lequel on frappait la monnaie, et que l’on garnissait d’un tampon de cuir. Il y eut un chevalier de qui le regard s’attacha si violemment au roi, que le roi, fasciné, ne put détacher sa vue de celle du patient. Au troisième coup de barre, le roi sortit, après avoir entendu sa citation dans l’année au tribunal de Dieu, devant lequel il comparut. Au cinquième coin, le premier de la question extraordinaire, Christophe dit au cardinal : – Monseigneur, abrégez mon supplice, il est inutile !

Le cardinal et le duc rentrèrent dans la salle, et Christophe entendit alors ces paroles prononcées par la reine Catherine : — Allez toujours, car après tout ce n’est qu’un hérétique !

Elle jugea prudent de paraître plus sévère que les bourreaux envers son complice.

On enfonça le sixième et le septième coin sans que Christophe se plaignît : son visage brillait d’une splendeur extraordinaire, due sans doute à l’excès de force que lui prêtait le fanatisme excité. Où chercher ailleurs que dans le sentiment le point d’appui nécessaire pour résister à de pareilles souffrances ? Enfin Christophe se mit à sourire au moment où le bourreau prit le huitième coin. Cette horrible torture durait depuis une heure.

Le greffier alla chercher le médecin, afin de savoir si l’on pouvait enfoncer le huitième coin sans mettre la vie du patient en danger. Pendant ce temps, le duc revint voir Christophe.

— Ventre-de-biche ! tu es un fier compagnon, lui dit-il en se penchant à son oreille. J’aime les gens courageux. Entre à mon service, tu seras heureux et riche, mes faveurs panseront tes membres meurtris ; je ne te proposerai pas de lâcheté, comme de rentrer dans ton parti pour nous en dire les projets : il y a toujours des traîtres, et la preuve en est dans les prisons de Blois ; mais dis-moi seulement en quels termes en sont la reine-mère et le prince de Condé.