Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/654

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peuple parisien qui mérite parfaitement ce travestissement plaisant du vers de Boileau :

Le Français né malin créa la guillotine.

Le Parisien, de tout temps, a fait des lazzi avant, pendant et après les plus horribles révolutions.

Théodore de Bèze était vêtu comme un courtisan, en chausses de soie noire, en souliers fenestrés, en haut-de-chausses côtelé, en pourpoint de soie noire à crevés, avec le petit manteau de velours noir sur lequel se rabattait une belle fraise blanche à tuyaux. Il portait la virgule et la moustache, gardait une épée au côté et tenait une canne. Quiconque parcourt les galeries de Versailles ou les recueils d’Odieuvre, connaît sa figure ronde, presque joviale, aux yeux vifs, surmontée de ce front remarquable par son ampleur qui caractérise les écrivains et les poètes du temps. De Bèze avait, ce qui le servit beaucoup, un air agréable. Il contrastait avec Coligny, dont l’austère figure est populaire, et avec l’âpre, avec le bilieux Chaudieu qui conservait le costume des ministres et le rabat calviniste. Ce qui se passe de nos jours à la Chambre des Députés, et ce qui se passait sans doute à la Convention, peut servir à faire comprendre comment, dans cette cour, dans cette époque, les gens qui devaient, six mois après, se battre à outrance et se faire une guerre acharnée, pouvaient se rencontrer, se parler avec courtoisie et plaisanter. À son arrivée dans la salle, Birague, qui devait froidement conseiller la Saint-Barthélemi, le cardinal de Lorraine qui devait recommander à Besme, son domestique, de ne pas manquer l’amiral, vinrent au-devant de Coligny, et le Piémontais lui dit en souriant : — Eh ! bien, mon cher amiral, vous vous chargez donc de présenter ces messieurs de Genève !

— Vous m’en ferez peut-être un crime, répondit l’amiral en raillant, tandis que si vous vous en étiez chargé, vous vous en feriez un mérite.

— On dit le sieur Calvin fort malade, demanda le cardinal de Lorraine à Théodore de Bèze. J’espère qu’on ne nous soupçonnera pas de lui avoir donné des bouillons ?

— Eh ! monseigneur, vous y perdriez trop ! répondit finement de Bèze.

Le duc de Guise, qui toisait Chaudieu, regarda fixement son frère et Birague, surpris tous deux de ce mot.