Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/660

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assez de la Réformation, elle lui a cassé bras et jambes. Sans Ambroise, où en serais-je ?

Grâce à ces discours et à cette sage conduite, il fut avéré dans le quartier que Christophe ne mangeait plus de la vache à Colas. Chacun trouva naturel que le vieux syndic essayât de faire entrer son fils au parlement, et les visites du curé parurent naturelles. En pensant aux malheurs du syndic, on ne pensait pas à son ambition qui eût semblé monstrueuse. Le jeune avocat, resté nonante jours, pour employer un mot de ce temps, sur le lit qu’on lui avait dressé dans la vieille salle, ne se levait que depuis une semaine et avait encore besoin de deux béquilles pour marcher. L’amour de Babette et la tendresse de sa mère avaient profondément touché Christophe ; or, en le tenant au lit, ces deux femmes le chapitraient rudement sur l’article religion. Le président de Thou fit à son filleul une visite pendant laquelle il fut très-paternel. Christophe, avocat au parlement, devait être catholique, il allait être engagé par son serment ; mais le président, qui ne mit pas en doute l’orthodoxie de son filleul, ajouta gravement ces paroles : — Mon enfant, tu as été rudement éprouvé. J’ignore moi-même la raison qu’avaient messieurs de Guise pour te traiter ainsi, je t’engage à vivre désormais tranquillement, sans te mêler des troubles ; car la faveur de la reine et du roi ne se portera pas sur des artisans de tempêtes. Tu n’es pas assez grand pour mettre à ton roi le marché à la main, comme font messieurs de Guise. Si tu veux être un jour conseiller au Parlement, tu n’obtiendras cette noble charge que par un attachement sérieux à la cause royale.

Néanmoins, ni la visite du président de Thou, ni les séductions de Babette, ni les instances de mademoiselle Lecamus, sa mère, n’avaient ébranlé la foi du martyr de la Réforme. Christophe tenait d’autant plus à sa religion qu’il avait plus souffert pour elle.

— Mon père ne souffrira jamais que j’épouse un hérétique, lui disait Babette à l’oreille.

Christophe ne répondait que par des larmes qui rendaient la jolie fille muette et rêveuse.

Le vieux Lecamus gardait sa dignité paternelle et syndicale, il observait son fils et parlait peu. Ce vieillard, après avoir reconquis son cher Christophe, était presque mécontent de lui-même, il se repentait d’avoir montré toute sa tendresse pour ce fils unique ; mais il l’admirait en secret. À aucune époque de sa vie le syndic