Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/76

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Quand le médecin français rentra dans la galerie, où l’orgie avait pris le caractère de la folie vénitienne, il eut un air joyeux qui échappa au prince fasciné par la Tinti, de laquelle il se promettait les enivrantes délices qu’il avait déjà goûtées. La Tinti nageait en vraie Sicilienne dans les émotions d’une fantaisie amoureuse sur le point d’être satisfaite. Le Français dit quelques mots à l’oreille de Vendramin, et la Tinti s’en inquiéta.

— Que complotez-vous ? demanda-t-elle à l’ami du prince.

— Etes-vous bonne fille ? lui dit à l’oreille le médecin qui avait la dureté de l’opérateur.

Ce mot entra dans l’entendement de la pauvre fille comme un coup de poignard dans le cœur.

— Il s’agit de sauver la vie à Emilio ! ajouta Vendramin,

— Venez, dit le médecin à la Tinti.

La pauvre cantatrice se leva et alla au bout de la table, entre Vendramin et le médecin, où elle parut être comme une criminelle entre son confesseur et son bourreau. Elle se débattit longtemps, mais elle succomba par amour pour Emilio. Le dernier mot du médecin fut : Et vous guérirez Genovese !

La Tinti dit un mot au ténor en faisant le tour de la table. Elle revint au prince, le prit par le cou, le baisa dans les cheveux avec une expression de désespoir qui frappa Vendramin et le Français, les seuls qui eussent leur raison, puis elle s’alla jeter dans sa chambre. Emilio, voyant Genovese quitter la table, et Cataneo enfoncé dans une longue discussion musicale avec Capraja, se coula vers la porte de la chambre de la Tinti, souleva la portière et disparut comme une anguille dans la vase.

— Hé ! bien, Cataneo, disait Capraja, tu as tout demandé aux jouissances physiques, et te voilà suspendu dans la vie à un fil, comme un arlequin de carton, bariolé de cicatrices, et ne jouant que si l’on tire la ficelle d’un accord.

— Mais toi, Capraja, qui as tout demandé aux idées, n’es-tu pas dans le même état, ne vis-tu pas à cheval sur une roulade ?

— Moi, je possède le monde entier, dit Capraja qui fit un geste royal en étendant la main.

— Et moi je l’ai déjà dévoré, répliqua le duc.

Ils s’aperçurent que le médecin et Vendramin étaient partis, et qu’ils se trouvaient seuls.

Le lendemain, après la plus heureuse des nuits heureuses, le