Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/83

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cette sorte, la résistance est une preuve d’amour. Si j’avais poussé plus loin cette aventure, j’aurais fini peut-être par y rencontrer le dégoût, et je dormirais tranquille. Le comte avait l’habitude d’analyser ses sensations les plus vives, comme font involontairement les hommes qui ont autant d’esprit que de cœur, et il s’étonnait de revoir l’inconnue de la rue Froidmanteau, non dans la pompe idéale des visions, mais dans la nudité de ses réalités affligeantes. Et néanmoins, si sa fantaisie avait dépouillé cette femme de la livrée de la misère, elle la lui aurait gâtée ; car il la voulait, il la désirait, il l’aimait avec ses bas crottés, avec ses souliers éculés, avec son chapeau de paille de riz ! Il la voulait dans cette maison même où il l’avait vue entrer ! -- Suis-je donc épris du vice ? se disait-il tout effrayé. Je n’en suis pas encore là, j’ai vingt-trois ans et n’ai rien d’un vieillard blasé. L’énergie même du caprice dont il se voyait le jouet le rassurait un peu. Cette singulière lutte, cette réflexion et cet amour à la course pourront à juste titre surprendre quelques personnes habituées au train de Paris ; mais elles devront remarquer que le comte Andrea Marcosini n’était pas Français.

Elevé entre deux abbés qui, d’après la consigne donnée par un père dévot, le lâchèrent rarement, Andréa n’avait pas aimé une cousine à onze ans, ni séduit à douze la femme de chambre de sa mère ; il n’avait pas hanté ces colléges où l’enseignement le plus perfectionné n’est pas celui que vend l’État ; enfin il n’habitait Paris que depuis quelques années : il était donc encore accessible à ces impressions soudaines et profondes contre lesquelles l’éducation et les mœurs françaises forment une égide si puissante. Dans les pays méridionaux, de grandes passions naissent souvent d’un coup d’œil. Un gentilhomme gascon, qui tempérait beaucoup de sensibilité par beaucoup de réflexion, s’était approprié [« s’était approprié » : lire « et s’était approprié ».] mille petites recettes contre les soudaines apoplexies de son esprit et de son cœur, avait conseillé au comte de se livrer au moins une fois par mois à quelque orgie magistrale pour conjurer ces orages de l’âme qui, sans de telles précautions, éclatent souvent mal à propos. Andrea se rappela le conseil. -- Eh ! bien, pensa-t-il, je commencerai demain, premier janvier.

Ceci explique pourquoi le comte Andrea Marcosini louvoyait si timidement pour entrer dans la rue Froidmanteau. L’homme élégant embarrassait l’amoureux, il hésita longtemps ; mais après


avoir fait un dernier