Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 15.djvu/90

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compris à Paris que partout ailleurs. Monsieur me fera-t-il l’honneur d’y assister ? dit-il en s’adressant à Andrea.

— Merci, répondit le comte, je ne me sens pas doué des organes nécessaires à l’appréciation des chants français. Mais si vous étiez mort, monsieur, et que Beethoven eût fait la messe, je ne manquerais pas d’aller l’entendre.

Cette plaisanterie fit cesser l’escarmouche de ceux qui voulaient mettre Gambara sur la voie de ses lubies, afin de divertir le nouveau venu. Andrea sentait déjà quelque répugnance à donner une folie si noble et si touchante en spectacle à tant de vulgaires sagesses. Il poursuivit sans arrière-pensée un entretien à bâtons rompus, pendant lequel le nez du signor Giardini s’interposa souvent à deux répliques. A chaque fois qu’il échappait à Gambara quelque plaisanterie de bon ton ou quelque aperçu paradoxal, le cuisinier avançait la tête, jetait au musicien un regard de pitié, un regard d’intelligence au comte, et lui disait à l’oreille : -- E matto ! Un moment vint où le cuisinier interrompit le cours de ses observations judicieuses, pour s’occuper du second service auquel il attachait la plus grande importance. Pendant son absence, qui dura peu, Gambara se pencha vers l’oreille d’Andrea.

— Ce bon Giardini, lui dit-il à demi-voix, nous a menacés aujourd’hui d’un plat de son métier que je vous engage à respecter, quoique sa femme en ait surveillé la préparation. Le brave homme a la manie des innovations en cuisine. Il s’est ruiné en essais dont le dernier l’a forcé à partir de Rome sans passe-port, circonstance sur laquelle il se tait. Après avoir acheté un restaurant en réputation, il fut chargé d’un gala que donnait un cardinal nouvellement promu et dont la maison n’était pas encore montée. Giardini crut avoir trouvé une occasion de se distinguer, il y parvint : le soir même, accusé d’avoir voulu empoisonner tout le conclave, il fut contraint de quitter Rome et l’Italie sans faire ses malles. Ce malheur lui a porté le dernier coup, et maintenant…

Gambara se posa un doigt au milieu de son front, et secoua la tête.

— D’ailleurs, ajouta-t-il, il est bon homme. Ma femme assure que nous lui avons beaucoup d’obligations.

Giardini parut portant avec précaution un plat qu’il posa au milieu de la table, et après il revint modestement se placer auprès d’Andrea, qui fut servi le premier. Dès qu’il eut goûté ce mets, le