Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/235

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oublié, vous qui avez passé par tant d’épreuves sociales. Amusez-moi, j’écoute.

— Que vous dirai-je, que vous ne sachiez ? D’ailleurs votre demande est une raillerie. Vous n’admettez rien du monde, vous en brisez les nomenclatures, vous en foudroyez les lois, les mœurs, les sentiments, les sciences, en les réduisant aux proportions que ces choses contractent quand on se pose en dehors du globe.

— Vous voyez bien, mon ami, que je ne suis pas une femme. Vous avez tort de m’aimer. Quoi ! je quitte les régions éthérées de ma prétendue force, je me fais humblement petite, je me courbe à la manière des pauvres femelles de toutes les espèces, et vous me rehaussez aussitôt ! Enfin je suis en pièces, je suis brisée, je vous demande du secours, j’ai besoin de votre bras, et vous me repoussez. Nous ne nous entendons pas.

— Vous êtes ce soir plus méchante que je ne vous ai jamais vue.

— Méchante ! dit-elle en lui lançant un regard qui fondait tous les sentiments en une sensation céleste. Non, je suis souffrante, voilà tout. Alors quittez-moi, mon ami. Ne sera-ce pas user de vos droits d’homme ? Nous devons toujours vous plaire, vous délasser, être toujours gaies, et n’avoir que les caprices qui vous amusent. Que dois-je faire, mon ami ? Voulez-vous que je chante, que je danse, quand la fatigue m’ôte l’usage de la voix et des jambes ? Messieurs, fussions-nous à l’agonie, nous devons encore vous sourire ! Vous appelez cela, je crois, régner. Les pauvres femmes ! je les plains. Dites-moi, vous les abandonnez quand elles vieillissent, elles n’ont donc ni cœur ni âme ? Eh ! bien, j’ai plus de cent ans, Wilfrid, allez-vous-en ! allez aux pieds de Minna.

— Oh ! mon éternel amour !

— Savez-vous ce que c’est que l’éternité ? Taisez-vous, Wilfrid. Vous me désirez et vous ne m’aimez pas. Dites-moi, ne vous rappelé-je pas bien quelque femme coquette ?

— Oh ! certes, je ne reconnais plus en vous la pure et céleste jeune fille que j’ai vue pour la première fois dans l’église de Jarvis.

À ces mots, Séraphîta se passa les mains sur le front, et quand elle se dégagea la figure, Wilfrid fut étonné de la religieuse et sainte expression qui s’y était répandue.

— Vous avez raison, mon ami. J’ai toujours tort de mettre les pieds sur votre terre.