Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/269

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de pierres. Vous y roulez dans des gouffres sans fin, où votre esprit ne vous soutient pas toujours. Certes ! il est nécessaire d’avoir une puissante intelligence pour en revenir sain et sauf à nos idées sociales.

— Swedenborg, reprit le pasteur, affectionnait particulièrement le baron de Séraphîtz, dont le nom, suivant un vieil usage suédois, avait pris depuis un temps immémorial la terminaison latine üs. Le baron fut le plus ardent disciple du Prophète suédois qui avait ouvert en lui les yeux de l’Homme Intérieur, et l’avait disposé pour une vie conforme aux ordres d’En-Haut. Il chercha parmi les femmes un Esprit Angélique, Swedenborg le lui trouva dans une vision. Sa fiancée fut la fille d’un cordonnier de Londres, en qui, disait Swedenborg, éclatait la vie du ciel, et dont les épreuves antérieures avaient été accomplies. Après la transformation du Prophète, le baron vint à Jarvis pour faire ses noces célestes dans les pratiques de la prière. Quant à moi, monsieur, qui ne suis point un Voyant, je ne me suis aperçu que des œuvres terrestres de ce couple : sa vie a bien été celle des saints et des saintes dont les vertus sont la gloire de l’Église romaine. Tous deux, ils ont adouci la misère des habitants, et leur ont donné à tous une fortune qui ne va point sans un peu de travail, mais qui suffit à leurs besoins ; les gens qui vécurent près d’eux ne les ont jamais surpris dans un mouvement de colère ou d’impatience ; ils ont été constamment bienfaisants et doux, pleins d’aménité, de grâce et de vraie bonté ; leur mariage a été l’harmonie de deux âmes incessamment unies. Deux eiders volant du même vol, le son dans l’écho, la pensée dans la parole, sont peut-être des images imparfaites de cette union. Ici chacun les aimait d’une affection qui ne pourrait s’exprimer qu’en la comparant à l’amour de la plante pour le soleil. La femme était simple dans ses manières, belle de formes, belle de visage, et d’une noblesse semblable celle des personnes les plus augustes. En 1783, dans la vingt-sixième année de son âge, cette femme conçut un enfant ; sa gestation fut une joie grave. Les deux époux faisaient ainsi leurs adieux au monde, car ils me dirent qu’ils seraient sans doute transformés quand leur enfant aurait quitté la robe de chair qui avait besoin de leurs soins jusqu’au moment où la force d’être par elle-même lui serait communiquée. L’enfant naquit, et fut cette Séraphîta qui nous occupe en ce moment ; dès qu’elle fut conçue, son père et sa mère vécurent encore plus solitairement que par le passé,