Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/277

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léger comme celui de toutes les créatures qui ne veulent se laisser surprendre. Son corps se mettait promptement en harmonie avec le climat des pays où le conduisait sa vie à tempêtes. L’art et la science eussent admiré dans cette organisation une sorte de modèle humain ; en lui tout s’équilibrait : l’action et le cœur, l’intelligence et la volonté. Au premier abord, il semblait devoir être classé parmi les êtres purement instinctifs qui se livrent aveuglément aux besoins matériels ; mais dès le matin de la vie, il s’était élancé dans le monde social avec lequel ses sentiments l’avaient commis ; l’étude avait agrandi son intelligence, la méditation avait aiguisé sa pensée, les sciences avaient élargi son entendement. Il avait étudié les lois humaines, le jeu des intérêts mis en présence par les passions, et paraissait s’être familiarisé de bonne heure avec les abstractions sur lesquelles reposent les Sociétés. Il avait pâli sur les livres qui sont les actions humaines mortes, puis il avait veillé dans les capitales européennes au milieu des fêtes, il s’était éveillé dans plus d’un lit, il avait dormi peut-être sur le champ de bataille pendant la nuit qui précède le combat et pendant celle qui suit la victoire ; peut-être sa jeunesse orageuse l’avait-elle jeté sur le tillac d’un corsaire à travers les pays les plus contrastants du globe ; il connaissait ainsi les actions humaines vivantes. Il savait donc le présent et le passé ; l’histoire double, celle d’autrefois, celle d’aujourd’hui. Beaucoup d’hommes ont été, comme Wilfrid, également puissants par la Main, par le Cœur et par la Tête ; comme lui, la plupart ont abusé de leur triple pouvoir. Mais si cet homme tenait encore par son enveloppe à la partie limoneuse de l’humanité, certes il appartenait également à la sphère où la force est intelligente. Malgré les voiles dans lesquels s’enveloppait son âme, il se rencontrait en lui ces indicibles symptômes visibles à l’œil des êtres purs, à celui des enfants dont l’innocence n’a reçu le souffle d’aucune passion mauvaise, à celui du vieillard qui a reconquis la sienne ; ces marques dénonçaient un Caïn auquel il restait une espérance, et qui semblait chercher quelque absolution au bout de la terre. Minna soupçonnait le forçat de la gloire en cet homme, et Séraphîta le connaissait ; toutes deux l’admiraient et le plaignaient. D’où leur venait cette prescience ? Rien à la fois de plus simple et de plus extraordinaire. Dès que l’homme veut pénétrer dans les secrets de la nature, où rien n’est secret, où il s’agit seulement de voir, il s’aperçoit que le simple y produit le merveilleux.