Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/285

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— Je ne vous conteste pas sa folie, ne me contestez pas sa supériorité. Cher monsieur Becker, elle m’a souvent confondu par son érudition. A-t-elle voyagé ?

— De sa maison au Fiord.

— Elle n’est pas sortie d’ici ! s’écria Wilfrid, elle a donc beaucoup lu ?

— Pas un feuillet, pas un iota ! Moi seul ai des livres dans Jarvis. Les œuvres de Swedenborg, les seuls ouvrages qui fussent au château, les voici. Jamais elle n’en a pris un seul.

— Avez-vous jamais essayé de causer avec elle ?

— À quoi bon ?

— Personne n’a vécu sous son toit ?

— Elle n’a pas eu d’autres amis que vous et Minna, ni d’autre serviteur que David.

— Elle n’a jamais entendu parler de sciences, ni d’arts ?

— Par qui ? dit le pasteur.

— Si elle disserte pertinemment de ces choses, comme elle en a souvent causé avec moi, que croiriez-vous ?

— Que cette fille a conquis peut-être, pendant quelques années de silence, les facultés dont jouissaient Apollonius de Tyane et beaucoup de prétendus sorciers que l’inquisition a brûlés, ne voulant pas admettre la seconde vue.

— Si elle parle arabe, que penseriez-vous ?

— L’histoire des sciences médicales consacre plusieurs exemples de filles qui ont parlé des langues à elles inconnues.

— Que faire ? dit Wilfrid. Elle connaît dans le passé de ma vie des choses dont le secret n’était qu’à moi.

— Nous verrons si elle me dit les pensées que je n’ai confiées à personne, dit monsieur Becker.

Minna rentra.

— Hé ! bien, ma fille, que devient ton démon !

— Il souffre, mon père, répondit-elle en saluant Wilfrid. Les passions humaines, revêtues de leurs fausses richesses, l’ont entouré pendant la nuit, et lui ont déroulé des pompes inouïes. Mais vous traitez ces choses de contes.

— Des contes aussi beaux pour qui les lit dans son cerveau que le sont pour le vulgaire ceux des Mille et une Nuits, dit le pasteur en souriant.

— Satan, reprit-elle, n’a-t-il donc pas transporté le Sauveur