Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/291

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leur somme totale, comme un nombre est à l’infini ? Ici vous tombez déjà dans la perception de l’infini, qui, certes, vous fait concevoir un monde purement spirituel. Ainsi l’homme présente une preuve suffisante de ces deux modes, la Matière et l’Esprit. En lui vient aboutir un visible univers fini ; en lui commence un univers invisible et infini, deux mondes qui ne se connaissent pas : les cailloux du Fiord ont-ils l’intelligence de leurs combinaisons, ont-ils la conscience des couleurs qu’ils présentent aux yeux de l’homme, entendent-ils la musique des flots qui les caressent ? Franchissons, sans le sonder, l’abîme que nous offre l’union d’un univers Matériel et d’un univers Spirituel, une création visible, pondérable, tangible, terminée par une création intangible, invisible, impondérable ; toutes deux complétement dissemblables, séparées par le néant, réunies par des accords incontestables, rassemblées dans un être qui tient et de l’une et de l’autre ! Confondons en un seul monde ces deux mondes inconciliables pour vos philosophies et conciliés par le fait. Quelque abstraite que l’homme la suppose, la relation qui lie deux choses entre elles comporte une empreinte. Où ? sur quoi ? Nous n’en sommes pas à rechercher à quel point de subtilisation peut arriver la Matière. Si telle était la question, je ne vois pas pourquoi celui qui a cousu par des rapports physiques les astres à d’incommensurables distances pour s’en faire un voile, n’aurait pu créer des substances pensantes, ni pourquoi vous lui interdiriez la faculté de donner un corps à la pensée ! Donc votre invisible univers moral et votre visible univers physique constituent une seule et même Matière. Nous ne séparerons point les propriétés et les corps, ni les objets et les rapports. Tout ce qui existe, ce qui nous presse et nous accable au-dessus, au-dessous de nous, devant nous, en nous ; ce que nos yeux et nos esprits aperçoivent, toutes ces choses nommées et innommées composeront, afin d’adapter le problème de la Création à la mesure de votre Logique, un bloc de matière fini ; s’il était infini, Dieu n’en serait plus le maître. Ici, selon vous, cher pasteur, de quelque façon que l’on veuille mêler un Dieu infini à ce bloc de matière fini, Dieu ne saurait exister avec les attributs dont il est investi par l’homme ; en le demandant aux faits, il est nul ; en le demandant au raisonnement, il sera nul encore ; spirituellement et matériellement, Dieu devient impossible. Écoutons le Verbe de la Raison humaine pressée dans ses dernières conséquences.