Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/33

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tions bien différentes. Quand vous alliez conférer avec vos plus cruels ennemis en plein champ, en vous cachant de votre mère, aidé par les Tavannes et par les Gondi avec lesquels vous avez feint d’aller courir la ville, je lisais des dépêches qui contenaient les preuves d’une terrible conspiration où trempent votre frère le duc d’Alençon, votre beau-frère le roi de Navarre, le prince de Condé, la moitié des grands du royaume. Il ne s’agit de rien moins que de vous ôter la couronne en s’emparant de votre personne. Ces messieurs disposent déjà de cinquante mille hommes de bonnes troupes.

— Ah ! fit le roi d’un air incrédule.

— Votre frère se fait Huguenot, reprit la reine.

— Mon frère passe aux Huguenots ? s’écria Charles en brandissant le fer qu’il tenait à la main.

— Oui, le duc d’Alençon, Huguenot de cœur, le sera bientôt d’effet. Votre sœur la reine de Navarre n’a plus pour vous qu’un reste d’affection, elle aime monsieur le duc d’Alençon, elle aime Bussy, elle aime aussi le petit La Mole.

— Quel cœur ! fit le roi.

— Pour devenir grand, le petit La Mole, dit la reine en continuant, ne trouve rien de mieux que de donner à la France un roi de sa façon. Il sera, dit-on, connétable.

— Damnée Margot s’écria le roi, voilà ce que nous rapporte son mariage avec un hérétique…

— Ce ne serait rien ; mais avec le chef de votre branche cadette que vous avez rapproché du trône malgré mon avis, et qui voudrait vous faire entretuer tous. La maison de Bourbon est l’ennemie de la maison de Valois, sachez bien ceci, monsieur. Toute branche cadette doit être maintenue dans la plus grande pauvreté, car elle est née conspiratrice, et c’est sottise que de lui donner des armes quand elle n’en a pas, et de les lui laisser quand elle en prend. Que tout cadet soit incapable de nuire, voilà la loi des couronnes. Ainsi font les sultans d’Asie. Les preuves sont là-haut, dans mon cabinet, où je vous ai prié de me suivre en vous quittant hier au soir, mais vous aviez d’autres visées. Dans un mois, si nous n’y mettions bon ordre, vous auriez eu le sort de Charles-le-Simple.

— Dans un mois ! s’écria Charles IX atterré par la coïncidence de cette date avec le délai demandé par les princes la nuit même. Dans un mois nous serons les maîtres ! se dit-il en répé-