Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/369

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contemplée par des yeux ardents, serait encore bien plus recevable à prétendre un salaire que le rôtisseur qui demandait vingt sous au Limousin dont le nez, enflé à toutes voiles, aspirait de nourrissants parfums. Flaner, c’est jouir, c’est recueillir des traits d’esprit, c’est admirer de sublimes tableaux de malheur, d’amour, de joie, des portraits gracieux ou grotesques ; c’est plonger ses regards au fond de mille existences : jeune, c’est tout désirer, tout posséder ; vieillard, c’est vivre de la vie des jeunes gens, c’est épouser leurs passions. Or, combien de réponses un flaneur artiste n’a-t-il pas entendu faire à l’interrogation catégorique sur laquelle nous sommes restés ?

— Elle a trente-cinq ans, mais tu ne lui en donnerais pas vingt ! dit un bouillant jeune homme aux yeux pétillants, et qui, libéré du collége, voudrait, comme Chérubin, tout embrasser. — Comment donc ! mais nous avons des peignoirs de batiste et des anneaux de nuit en diamants… dit un clerc de notaire — Elle a voiture et une loge aux Français ! dit un militaire. — Moi ! s’écrie un autre un peu âgé en ayant l’air de répondre à une attaque, cela ne me coûte pas un sou ! Quand on est tourné comme nous… Est-ce que tu en serais là, mon respectable ami ? Et le promeneur de frapper un léger coup de plat de la main sur l’abdomen de son camarade. — Oh ! elle m’aime ! dit un autre, on ne peut pas s’en faire d’idée ; mais elle a le mari le plus bête ! Ah !… Buffon a supérieurement décrit les animaux, mais le bipède nommé mari… (Comme c’est agréable à entendre quand on est marié !)— Oh ! mon ami, comme un ange !… est la réponse d’une demande discrètement faite à l’oreille. — Peux-tu me dire son nom ou me la montrer ?… — Oh ! non, c’est une femme honnête.

Quand un étudiant est aimé d’une limonadière, il la nomme avec orgueil et mène ses amis déjeuner chez elle. Si un jeune homme aime une femme dont le mari s’adonne à un commerce qui embrasse des objets de première nécessité, il répondra en rougissant : — C’est une lingère, c’est la femme d’un papetier, d’un bonnetier, d’un marchand de draps, d’un commis, etc…

Mais cet aveu d’un amour subalterne, éclos en grandissant au milieu des ballots, des pains de sucre ou des gilets de flanelle, est toujours accompagné d’un pompeux éloge de la fortune de la dame. Le mari seul se mêle du commerce, il est riche, il a de beaux meubles ; d’ailleurs la bien-aimée vient chez son amant ; elle a un cachemire, une maison de campagne, etc.