Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

épées, je veux planer sur les abîmes, ainsi que fait ce vieillard, sa science m’a semblé comme une royauté sûre. Enfin, je crois aux Sciences Occultes.

— Vous le fils aîné, le vengeur de la sainte Église catholique, apostolique et romaine ? dit Marie.

— Moi !

— Que vous est-il donc arrivé ? Continuez, je veux avoir peur pour vous, et vous aurez du courage pour moi.

— En regardant son horloge, le vieillard se leva, reprit le roi ; il est sorti, je ne sais par où, mais j’ai entendu ouvrir la croisée du côté de la rue Saint-Honoré. Bientôt une lumière a brillé, puis j’ai vu, sur la colonne de l’hôtel de Soissons, une autre lumière qui répondait à celle du vieillard, et qui nous a permis de voir Cosme Ruggieri sur le haut de la colonne. — « Ah ! ils s’entendent ! » ai-je dit à Tavannes qui trouva dès lors tout effroyablement suspect, et qui partagea mon avis de nous emparer de ces deux hommes et de faire examiner incontinent leur atelier monstrueux. Mais avant de procéder à une saisie générale, nous avons voulu voir ce qui allait advenir. Au bout d’un quart d’heure, la porte du laboratoire s’est ouverte, et Cosme Ruggieri, le conseiller de ma mère, le puits sans fond où s’engloutissent tous les secrets de la cour, à qui les femmes demandent du secours contre leurs maris et contre leurs amants, à qui les amants et les maris demandent secours contre leurs infidèles, qui trafique de l’avenir et aussi du passé, en recevant de toutes les mains, qui vend des horoscopes et qui passe pour savoir tout, cette moitié de démon est entré en disant au vieillard : — « Bonjour, mon frère ! » Il amenait une effroyable petite vieille édentée, bossue, tordue, crochue comme un marmouset de fantaisie, mais plus horrible ; elle était ridée comme une vieille pomme, sa peau avait une teinte de safran, son menton mordait son nez, sa bouche était une ligne à peine indiquée, ses yeux ressemblaient aux points noirs d’un dé, son front exprimait l’amertume, ses cheveux s’échappaient eu mèches grises de dessous un sale escoffion ; elle marchait appuyée sur une béquille ; elle sentait le fagot et la sorcellerie ; elle nous fit peur, car ni Tavannes, ni moi, nous ne la prîmes pour une femme naturelle, Dieu ne les a pas faites aussi épouvantables que cela. Elle s’assit sur un escabeau près de la jolie couleuvre blanche dont s’amourachait Tavannes. Les deux frères ne firent aucune attention ni à la vieille ni à la jeune