Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/491

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— Messieurs, dit un vieillard, la première question soumise à vos délibérations se trouve clairement posée dans ce passage d’une lettre écrite à la princesse de Galles, Caroline d’Anspach, par la veuve de Monsieur, frère de Louis XIV, mère du régent.

« La reine d’Espagne a un moyen sûr pour faire dire à son mari tout ce qu’elle veut. Le roi est dévot ; il croirait être damné s’il touchait à une autre femme qu’à la sienne, et ce bon prince est d’une complexion fort amoureuse. La reine obtient ainsi de lui tout ce qu’elle souhaite. Elle a fait mettre des roulettes au lit de son mari. Lui refuse-t-il quelque chose ?… elle pousse le lit loin du sien. Lui accorde-t-il sa demande ? les lits se rapprochent, et elle l’admet dans le sien. Ce qui est la plus grande félicité du roi, qui est extrêmement porté… »

— Je n’irai pas plus loin, messieurs, car la vertueuse franchise de la princesse allemande pourrait être taxée ici d’immoralité.

Les maris sages doivent-ils adopter le lit à roulettes ?… Voilà le problème que nous avons à résoudre.

L’unanimité des votes ne laissa aucun doute. Il me fut ordonné de consigner sur le registre des délibérations que, si deux époux se couchaient dans deux lits séparés et dans une même chambre, les lits ne devaient point avoir de roulettes à équerre.

— Mais sans que la présente décision, fit observer un membre, puisse en rien préjudicier à ce qui sera statué sur la meilleure manière de coucher les époux.

Le président me passa un volume élégamment relié, contenant l’édition originale, publiée en 1788, des lettres de MADAME Charlotte-Élisabeth de Bavière, veuve de MONSIEUR, frère unique de Louis XIV, et pendant que je transcrivais le passage cité, il reprit ainsi : — Mais, messieurs, vous avez dû recevoir à domicile le bulletin sur lequel est consignée la seconde question.

— Je demande la parole… s’écria le plus jeune des jaloux assemblés.

Le président s’assit après avoir fait un geste d’adhésion.

— Messieurs, dit le jeune mari, sommes-nous bien préparés à délibérer sur un sujet aussi grave que celui présenté par l’indiscrétion presque générale des lits ? N’y a-t-il pas là une question plus ample qu’une simple difficulté d’ébénisterie à résoudre ? Pour ma part, j’y vois un problème qui concerne l’intelligence humaine. Les mystères de la conception, messieurs, sont encore enveloppés