Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/495

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où vous étiez souverainement ridicule : par exemple, pendant que vous aviez la bouche de travers comme celle d’un masque de théâtre, ou pendant que vos lèvres éloquentes, semblables au bec en cuivre d’une fontaine avare, distillaient goutte à goutte une eau pure ; vous le poignarderiez peut-être. Ce rival est le sommeil. Existe-t-il au monde un homme qui sache bien comment il est et ce qu’il fait quand il dort ?…

Cadavres vivants, nous sommes la proie d’une [un] puissance inconnue qui s’empare de nous malgré nous, et se manifeste par les effets les plus bizarres : les uns ont le sommeil spirituel et les autres un sommeil stupide.

Il y a des gens qui reposent la bouche ouverte de la manière la plus niaise.

Il en est d’autres qui ronflent à faire trembler les planchers.

La plupart ressemblent à ces jeunes diables que Michel-Ange a sculptés, tirant la langue pour se moquer des passants.

Je ne connais qu’une seule personne au monde qui dorme noblement, c’est l’Agamemnon que Guérin a montré couché dans son lit au moment où Clytemnestre, poussée par Egisthe, s’avance pour l’assassiner. Aussi ai-je toujours ambitionné de me tenir sur mon oreiller comme se tient le roi des rois, dès que j’aurai la terrible crainte d’être vu, pendant mon sommeil, par d’autres yeux que par ceux de la Providence. De même aussi, depuis le jour où j’ai vu ma vieille nourrice soufflant des pois, pour me servir d’une expression populaire mais consacrée, ai-je aussitôt ajouté, dans la litanie particulière que je récite à saint Honoré, mon patron, une prière pour qu’il me garantisse de cette piteuse éloquence.

Qu’un homme se réveille le matin, en montrant une figure hébétée, grotesquement coiffée d’un madras qui tombe sur la tempe gauche en manière de bonnet de police, il est certainement bien bouffon, et il serait difficile de reconnaître en lui cet époux glorieux célébré par les strophes de Rousseau ; mais enfin il y a une lueur de vie à travers la bêtise de cette face à moitié morte… Et si vous voulez recueillir d’admirables charges, artistes, voyagez en malle-poste, et à chaque petit village où le courrier réveille un buraliste, examinez ces têtes départementales !…Mais, fussiez-vous cent fois plus plaisant que ces visages bureaucratiques, au moins vous avez alors la bouche fermée, les yeux ouverts, et votre physionomie