Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/502

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de Mercy, ambassadeur de l’empereur. Le mari avait perdu une assez forte somme au jeu, de manière qu’il était complétement absorbé par ses réflexions. Il s’agissait de payer six mille écus le lendemain !… et, tu t’en souviens, Nocé ? l’on n’aurait pas quelquefois trouvé cent écus en rassemblant les ressources de dix mousquetaires… La jeune femme, comme cela ne manque jamais d’arriver dans ces cas-là, était d’une gaieté désespérante. — Donnez à monsieur le marquis, dit-elle au valet de chambre, tout ce qu’il faut pour sa toilette. Dans ce temps-là l’on s’habillait pour la nuit. Ces paroles assez extraordinaires ne tirèrent point mon mari de sa léthargie. Alors voilà madame qui, aidée de sa femme de chambre, se met à faire mille coquetteries. Étais-je à votre goût ce soir ?… demanda-t-elle. — Vous me plaisez toujours !… répondit le marquis en continuant de se promener de long en large. — Vous êtes bien sombre !… Parlez-moi donc, beau ténébreux !… dit-elle en se plaçant devant lui, dans le négligé le plus séduisant. Mais vous n’aurez jamais une idée de toutes les sorcelleries de la marquise ; il faudrait l’avoir connue. — Eh ! c’est une femme que tu as vue, Nocé !… dit-il avec un sourire assez railleur. Enfin, malgré sa finesse et sa beauté, toutes ses malices échouèrent devant les six mille écus qui ne sortaient pas de la tête de cet imbécile de mari, et elle se mit au lit toute seule. Mais les femmes ont toujours une bonne provision de ruses ; aussi, au moment où mon homme fit mine de monter dans son lit, la marquise de s’écrier : Oh ! que j’ai froid !… — Et moi aussi ! reprit-il. Mais comment nos gens ne bassinent-ils pas nos lits ?… Et voilà que je sonne…

Le comte de Nocé ne put s’empêcher de rire, et le vieux marquis interdit s’arrêta.

Ne pas deviner les désirs d’une femme, ronfler quand elle veille, être en Sibérie quand elle est sous le tropique, voilà les moindres inconvénients des lits jumeaux. Que ne hasardera pas une femme passionnée quand elle aura reconnu que son mari a le sommeil dur ?…

Je dois à Beyle une anecdote italienne, à laquelle son débit sec et sarcastique prêtait un charme infini quand il me la raconta comme un exemple de hardiesse féminine.

Ludovico a son palais à un bout de la ville de Milan, à l’autre est celui de la comtesse Pernetti. À minuit, au péril de sa vie, Ludovico, résolu à tout braver pour contempler pendant une seconde