Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/537

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à la famille des N…, où les bonnes manières sont conservées traditionnellement. Son mari, le comte de… était fils de la vieille duchesse de L…, et il avait courbé la tête devant l’idole du jour : Napoléon l’ayant récemment nommé comte, il se flattait d’obtenir une ambassade ; mais, en attendant, il se contentait d’une clef de chambellan ; et s’il laissait sa femme auprès de la reine Hortense, c’était sans doute par calcul d’ambition. — Mon fils, lui dit un matin sa mère, votre femme chasse de race. Elle aime monsieur de B. — Vous plaisantez, ma mère : il m’a emprunté hier cent napoléons. — Si vous ne tenez pas plus à votre femme qu’à votre argent, n’en parlons plus ! dit sèchement la vieille dame. Le futur ambassadeur observa les deux amants, et ce fut en jouant au billard avec la reine, l’officier et sa femme qu’il obtint une de ces preuves aussi légères en apparence qu’elles sont irrécusables aux yeux d’un diplomate. — Ils sont plus avancés qu’ils ne le croient eux-mêmes !… dit le comte de à sa mère. Et il versa dans l’âme aussi savante que rusée de la duchesse le chagrin profond dont il était accablé par cette découverte amère. Il aimait la comtesse, et sa femme, sans avoir précisément ce qu’on nomme des principes, était mariée depuis trop peu de temps pour ne pas être encore attachée à ses devoirs. La duchesse se chargea de sonder le cœur de sa bru. Elle jugea qu’il y avait encore de la ressource dans cette âme neuve et délicate, et elle promit à son fils de perdre monsieur de B sans retour. Un soir, au moment où les parties étaient finies, que toutes les dames avaient commencé une de ces causeries familières où se confisent les médisances, et que la comtesse faisait son service auprès de la reine, madame de L… saisit cette occasion pour apprendre à l’assemblée féminine le grand secret de l’amour de monsieur de B… pour sa bru. Tolle général. La duchesse ayant recueilli les voix, il fut décidé à l’unanimité que celle-là qui réussirait à chasser du château l’officier rendrait un service signalé à la reine Hortense qui en était excédée, et à toutes ses femmes qui le haïssaient, et pour cause. La vieille dame réclama l’assistance des belles conspiratrices, et chacune promit sa coopération à tout ce qui pourrait être tenté. En quarante-huit heures, l’astucieuse belle-mère devint la confidente et de sa bru et de l’amant. Trois jours après, elle avait fait espérer au jeune officier la faveur d’un tête-à-tête à la suite d’un déjeuner. Il fut arrêté que monsieur de B partirait le matin de bonne heure pour Paris