Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/561

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les voiler que pour laisser prendre un plus vaste essor à l’imagination. Les jardins, appuyés sur le revers d’une montagne, descendaient en terrasse jusque sur la rive de la Seine, et l’on embrassait ses sinuosités multipliées, couvertes de petites îles vertes et pittoresques. Ces accidents produisaient mille tableaux qui enrichissaient ces lieux, déjà ravissants par eux-mêmes, de mille trésors étrangers. Nous nous promenâmes sur la plus longue des terrasses qui était couverte d’arbres épais. On s’était remis de l’effet produit par le persiflage conjugal, et tout en marchant on me fit quelques confidences… Les confidences s’attirent, j’en faisais à mon tour, et elles devenaient toujours plus intimes et plus intéressantes. Madame de T… m’avait d’abord donné son bras ; ensuite ce bras s’était entrelacé, je ne sais comment, tandis que le mien la soulevait presque et l’empêchait de poser à terre. L’attitude était agréable mais fatigante à la longue. Il y avait long-temps que nous marchions, et nous avions encore beaucoup à nous dire. Un banc de gazon se présenta, et l’on s’y assit sans changer d’attitude. Ce fut dans cette position que nous commençâmes à faire l’éloge de la confiance, de son charme, de ses douceurs… — « Ah ! me dit-elle, qui peut en jouir mieux que nous, et avec moins d’effroi ?… Je sais trop combien vous tenez au lien que je vous connais pour avoir rien à redouter auprès de vous… » Peut-être voulait-elle être contrariée ? Je n’en fis rien. Nous nous persuadâmes donc mutuellement que nous ne pouvions être que deux amis inattaquables. — « J’appréhendais cependant, lui dis-je, que cette surprise de tantôt, dans la voiture, n’eût effrayé votre esprit ?… — Oh ! je ne m’alarme pas si aisément ! — Je crains qu’elle ne vous ait laissé quelque nuage ?… — Que faut-il pour vous rassurer ?… — Que vous m’accordiez ici le baiser que le hasard… — Je le veux bien ; sinon, votre amour-propre vous ferait croire que je vous crains… » J’eus le baiser… Il en est des baisers comme des confidences, le premier en entraîna un autre, puis un autre…, ils se pressaient, ils entrecoupaient la conversation, ils la remplaçaient ; à peine laissaient-ils aux soupirs la liberté de s’échapper… Le silence survint… On l’entendit, car on entend le silence. Nous nous levâmes sans mot dire, et nous recommençâmes à marcher. — Il faut rentrer… dit-elle, car l’air de la rivière est glacial, et ne nous vaut rien… — Je le crois peu dangereux pour nous, répondis-