Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/576

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— Mais, ma pauvre enfant, je ne sais pas où tu vas prendre que je puisse aimer ton mari… Il est gros et gras comme un député du centre. Il est petit et laid. Ah ! il est généreux par exemple, mais voilà tout ce qu’il a pour lui, et c’est une qualité qui pourrait plaire tout au plus à une fille d’Opéra. Ainsi, tu comprends, ma chère, que j’aurais à prendre un amant, comme il te plaît de le supposer, que je ne choisirais pas un vieillard comme ton baron. Si je lui ai donné quelque espérance, si je l’ai accueilli, c’était certes pour m’en amuser et t’en débarrasser, car j’ai cru que tu avais un faible pour le jeune de Rostanges…

— Moi !… s’écria Louise !… Dieu m’en préserve, ma chère !.. C’est le fat le plus insupportable du monde ! Non, je t’assure que j’aime mon mari !… Tu as beau rire, cela est. Je sais bien que je me donne un ridicule, mais juge-moi ?… Il a fait ma fortune, il n’est pas avare, et il me tient lieu de tout, puisque le malheur a voulu que je restasse orpheline… or, quand je ne l’aimerais pas, je dois tenir à conserver son estime. Ai-je une famille pour m’y réfugier un jour ?…

— Allons, mon ange, ne parlons plus de tout cela, dit Émilie en interrompant son amie ; car c’est ennuyeux à la mort.

Après quelques propos insignifiants, la baronne partit.

— Eh ! bien, monsieur ? s’écria madame B… en ouvrant la porte du cabinet où le baron était perclus de froid, car la scène avait lieu en hiver. Eh ! bien ?… n’avez-vous pas de honte de ne pas adorer une petite femme si intéressante ? Monsieur, ne me parlez jamais d’amour. Vous pourriez, pendant un certain temps, m’idolâtrer comme vous le dites, mais vous ne m’aimeriez jamais autant que vous aimez Louise. Je sens que je ne balancerai jamais dans votre cœur l’intérêt qu’inspirent une femme vertueuse, des enfants, une famille… Un jour je serais abandonnée à toute la sévérité de vos réflexions.. Vous diriez de moi froidement : J’ai eu cette femme-là !… Phrase que j’entends prononcer par les hommes avec la plus insultante indifférence. Vous voyez, monsieur, que je raisonne froidement, et que je ne vous aime pas, parce que vous-même vous ne sauriez m’aimer…

— Hé ! que faut-il donc pour vous convaincre de mon amour ?… s’écria le baron en contemplant la jeune femme. Jamais elle ne lui avait paru si ravissante qu’en ce moment, où sa voix lutine lui prodiguait des paroles dont la dureté semblait démentie par la