Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/579

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nous le secours qu’un célibataire n’implore jamais en vain et reçoit toujours d’un autre célibataire pour tromper un mari ? L’homme incapable d’aider un gendarme à trouver un assassin n’éprouve aucun scrupule à emmener un mari au spectacle, à un concert, ou même dans une maison équivoque, pour faciliter, à un camarade qu’il pourra tuer le lendemain en duel, un rendez-vous dont le résultat est ou de mettre un enfant adultérin dans une famille, et de priver deux frères d’une portion de leur fortune en leur donnant un cohéritier qu’ils n’auraient peut-être pas eu, ou de faire le malheur de trois êtres. Il faut avouer que la probité est une vertu bien rare, et que l’homme qui croit en avoir le plus est souvent celui qui en a le moins. Telles haines ont divisé des familles, tel fratricide a été commis, qui n’eussent jamais eu lieu si un ami se fût refusé à ce qui passe dans le monde pour une espièglerie.

Il est impossible qu’un homme n’ait pas une manie, et nous aimons tous ou la chasse, ou la pêche, ou le jeux, ou la musique, ou l’argent, ou la table etc. Eh ! bien, votre passion favorite sera toujours complice du piége qui vous sera tendu par un amant, sa main invisible dirigera vos amis ou les siens, soit qu’ils consentent ou non à prendre un rôle dans la petite scène qu’il invente pour vous emmener hors du logis ou pour vous laisser lui livrer votre femme. Un amant passera deux mois entiers s’il le faut à méditer la construction de sa souricière.

J’ai vu succomber l’homme le plus rusé de la terre.

C’était un ancien avoué de Normandie. Il habitait la petite ville de B… où le régiment des chasseurs du Cantal tenait garnison. Un élégant officier aimait la femme du chiquanous, et le régiment devait partir sans que les deux amants eussent pu avoir la moindre privauté. C’était le quatrième militaire dont triomphait l’avoué. En sortant de table, un soir vers les six heures, le mari vint se promener sur une terrasse de son jardin, de laquelle on découvrait la campagne. Les officiers arrivèrent en ce moment pour prendre congé de lui. Tout à coup brille à l’horizon la flamme sinistre d’un incendie. — Oh mon Dieu ! la Daudinière brûle !… s’écria le major. C’était un vieux soldat sans malice qui avait dîné au logis. Tout le monde de sauter à cheval. La jeune femme sourit en se voyant seule, car l’amoureux caché dans un massif lui avait dit : — C’est un feu de paille !… Les positions du mari furent tournées avec d’autant mieux d’habileté