Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/584

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Avec son médecin, une femme honnête est, dans sa chambre, comme un ministre sûr de sa majorité : ne se fait-elle pas ordonner le repos, la distraction, la campagne ou la ville, les eaux ou le cheval, la voiture, selon son bon plaisir et ses intérêts ? Elle vous renvoie ou vous admet chez elle comme elle le veut. Tantôt elle feindra une maladie pour obtenir d’avoir une chambre séparée de la vôtre ; tantôt elle s’entourera de tout l’appareil d’une malade ; elle aura une vieille garde, des régiments de fioles, de bouteilles, et du sein de ces remparts elle vous défiera par des airs languissants. On vous entretiendra si cruellement des loochs et des potions calmantes qu’elle a prises, des quintes qu’elle a eues, de ses emplâtres et de ses cataplasmes, qu’elle fera succomber votre amour à coups de maladies, si toutefois ces feintes douleurs ne lui ont pas servi de piéges pour détruire cette singulière abstraction que nous nommons votre honneur.

Ainsi votre femme saura se faire des points de résistance de tous les points de contact que vous aurez avec le monde, avec la société ou avec la vie. Ainsi tout s’armera contre vous, et au milieu de tant d’ennemis vous serez seul.

Mais, supposons que, par un privilége inouï, vous ayez le bonheur d’avoir une femme peu dévote, orpheline et sans amies intimes ; que votre perspicacité vous fasse deviner tous les traquenards dans lesquels l’amant de votre femme essaiera de vous attirer ; que vous aimiez encore assez courageusement votre belle ennemie pour résister à toutes les Martons de la terre ; et qu’enfin vous ayez pour médecin un de ces hommes si célèbres, qu’ils n’ont pas le temps d’écouter les gentillesses des femmes ; ou que, si votre Esculape est le féal de madame, vous demanderez une consultation, à laquelle interviendra un homme incorruptible toutes les fois que le docteur favori voudra ordonner une prescription inquiétante ; eh ! bien, votre position ne sera guère plus brillante. En effet, si vous ne succombez pas à l’invasion des alliés, songez que, jusqu’à présent, votre adversaire n’a, pour ainsi dire, pas encore frappé de coup décisif. Maintenant, si vous tenez plus long-temps, votre femme, après avoir attaché autour de vous, brin à brin et comme l’araignée, une trame invisible, fera usage des armes que la nature lui a données, que la civilisation a perfectionnées, et dont va traiter la Méditation suivante.