Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/618

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quart d’heure s’essuyaient le front avec leurs foulards, commencèrent à avoir soif, et restèrent auprès d’une claire fontaine.

Quelques anciens militaires se plaignirent des cors qui leur agaçaient les nerfs, et parlèrent d’Austerlitz à propos de bottes étroites.

À la seconde poste, quelques gens du monde se dirent à l’oreille : — Mais c’est un fou que ce prophète-là ?… — Est-ce que vous l’avez écouté ? — Moi ! je suis venu par curiosité. — Et moi, parce que j’ai vu qu’on le suivait (c’était un fashionable). — C’est un charlatan.

Le prophète marchait toujours. Mais, quand il fut arrivé sur le plateau d’où l’on découvrait un immense horizon, il se retourna, et ne vit auprès de lui qu’un pauvre Israélite auquel il aurait pu dire comme le prince de Ligne au méchant petit tambour bancroche qu’il trouva sur la place où il se croyait attendu par la garnison : — Eh ! bien ! messieurs les lecteurs, il paraît que vous n’êtes qu’un ?…

Homme de Dieu qui m’as suivi jusqu’ici !… j’espère qu’une petite récapitulation ne t’effraiera pas, et j’ai voyagé dans la conviction que tu te disais comme moi : — Où diable allons-nous ?…

— Eh ! bien, c’est ici le lieu de vous demander, mon respectable lecteur, quelle est votre opinion relativement au renouvellement du monopole des tabacs, et ce que vous pensez des impôts exorbitants mis sur les vins, sur le port d’armes, sur les jeux, sur la loterie, et sur les cartes à jouer, l’eau-de-vie, les savons, les cotons, et les soieries, etc.

— Je pense que tous ces impôts, entrant pour un tiers dans les revenus du budget, nous serions fort embarrassés si…

— De sorte, mon excellent mari-modèle, que si personne ne se grisait, ne jouait, ne prenait de tabac, ne chassait ; enfin si nous n’avions en France, ni vices, ni passions, ni maladies, l’État serait à deux doigts d’une banqueroute ; car il paraît que nos rentes sont hypothéquées sur la corruption publique, comme notre commerce ne vit que par le luxe. Si l’on veut y regarder d’un peu plus près, tous les impôts sont basés sur une maladie morale. En effet la plus grosse recette des domaines ne vient-elle pas des contrats d’assurances que chacun s’empresse de se constituer contre les mutations de sa bonne foi, de même que la fortune des gens de justice prend sa source dans les procès qu’on intente à cette foi jurée ! Et pour continuer cet examen philosophique, je verrais les gendarmes