Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 16.djvu/95

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ble à quelque saint de pierre de la cathédrale. Ils vont à l’ancienne école des Quatre-Nations. Prest ! je ne les vois plus. — C’est là qu’il respire, ce pauvre chérubin ! ajouta-t-elle en regardant les meubles de la chambre. Est-il galant et plaisant ! Ah ! ces seigneurs, c’est autrement fait que nous.

Et Jacqueline descendit après avoir passé la main sur la couverture du lit, épousseté le bahut, et s’être demandé pour la centième fois depuis six mois : — À quoi diable passe-t-il toutes ses saintes journées ? Il ne peut pas toujours regarder dans le bleu du temps et dans les étoiles que Dieu a pendues là-haut comme des lanternes. Le cher enfant a du chagrin. Mais pourquoi le vieux maître et lui ne se parlent-ils presque point ? Puis elle se perdit dans ses pensées, qui, dans sa cervelle de femme, se brouillèrent comme un écheveau de fil.

Le vieillard et le jeune homme étaient entrés dans une des écoles qui rendaient à cette époque la rue du Fouarre si célèbre en Europe. L’illustre Sigier, le plus fameux docteur en Théologie mystique de l’Université de Paris, montait à sa chaire au moment où les deux locataires de Jacqueline arrivèrent à l’ancienne école des Quatre-Nations, dans une grande salle basse, de plain-pied avec la rue. Les dalles froides étaient garnies de paille fraîche, sur laquelle un bon nombre d’étudiants avaient tous un genou appuyé, l’autre relevé, pour sténographier l’improvisation du maître à l’aide de ces abréviations qui font le désespoir des déchiffreurs modernes. La salle était pleine, non-seulement d’écoliers, mais encore des hommes les plus distingués du clergé, de la cour et de l’ordre judiciaire. Il s’y trouvait des savants étrangers, des gens d’épée et de riches bourgeois. Là se rencontraient ces faces larges, ces fronts protubérants, ces barbes vénérables qui nous inspirent une sorte de religion pour nos ancêtres à l’aspect des portraits du Moyen-Âge. Des visages maigres aux yeux brillants et enfoncés, surmontés de crânes jaunis dans les fatigues d’une scolastique impuissante, la passion favorite du siècle, contrastaient avec de jeunes têtes ardentes, avec des hommes graves, avec des figures guerrières, avec les joues rubicondes de quelques financiers. Ces leçons, ces dissertations, ces thèses soutenues par les génies les plus brillants du treizième et du quatorzième siècle, excitaient l’enthousiasme de nos pères ; elles étaient leurs combats de taureaux, leurs Italiens, leur tragédie, leurs grands danseurs, tout leur théâtre enfin. Les représen-