Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/112

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tion du Louvre est une des conditions auxquelles nous avons donné la couronne, et la liste civile, à qui l’on n’a pas fixé de terme, j’en conviens, nous laisse le cœur de Paris dans un état navrant… C’est parce que je suis juste-milieu que je voudrais voir le juste milieu de Paris dans un autre état. Votre quartier fait frémir. On vous y aurait assassiné un jour ou l’autre….. Eh bien ! voilà votre monsieur Crevel nommé chef de bataillon de sa légion, j’espère que c’est nous qui lui fournirons sa grosse épaulette.

— J’y dîne aujourd’hui, je vous l’enverrai.

Lisbeth crut avoir à elle son Livonien en se flattant de couper toutes les communications entre le monde et lui. Ne travaillant plus, l’artiste serait oublié comme un homme enterré dans un caveau, où seule elle irait le voir. Elle eut ainsi deux jours de bonheur, car elle espéra donner des coups mortels à la baronne et à sa fille.

Pour se rendre chez monsieur Crevel, qui demeurait rue des Saussayes, elle prit par le pont du Carrousel, le quai Voltaire, le quai d’Orsay, la rue Belle-Chasse, la rue de l’Université, le pont de la Concorde et l’avenue de Marigny. Cette route illogique était tracée par la logique des passions, toujours excessivement ennemie des jambes. La cousine Bette, tant qu’elle fut sur les quais, regarda la rive droite de la Seine en allant avec une grande lenteur. Son calcul était juste. Elle avait laissé Wenceslas s’habillant, elle pensait qu’aussitôt délivré d’elle, l’amoureux irait chez la baronne par le chemin le plus court. En effet, au moment où elle longeait le parapet du quai Voltaire en dévorant la rivière, et marchant en idée sur l’autre rive, elle reconnut l’artiste dès qu’il déboucha par le guichet des Tuileries pour gagner le pont Royal. Elle rejoignit là son infidèle et put le suivre sans être vue par lui, car les amoureux se retournent rarement ; elle l’accompagna jusqu’à la maison de madame Hulot, où elle le vit entrer comme un homme habitué d’y venir.

Cette dernière preuve qui confirmait les confidences de madame Marneffe, mit Lisbeth hors d’elle. Elle arriva chez le chef de bataillon nouvellement élu dans cet état d’irritation mentale qui fait commettre les meurtres, et trouva le père Crevel attendant ses enfants, monsieur et madame Hulot jeunes, dans son salon.

Mais Célestin Crevel est le représentant si naïf et si vrai du parvenu parisien, qu’il est difficile d’entrer sans cérémonie chez cet heureux successeur de César Birotteau. Célestin Crevel est à lui seul tout un monde, aussi mérite-t-il, plus que Rivet, les honneurs