Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/131

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le comte Wenceslas se coucha dans les draps de pourpre que nous fait, sans un pli de rose, la Faveur, cette céleste boiteuse, qui, pour les gens de génie, marche plus lentement encore que la Justice et la Fortune, parce que Jupiter a voulu qu’elle n’eût pas de bandeau sur les yeux. Facilement trompée par les étalages des charlatans, attirée par leurs costumes et leurs trompettes, elle dépense à voir et à payer leurs parades le temps pendant lequel elle devait chercher les gens de mérite dans les coins où ils se cachent.

Maintenant il est nécessaire d’expliquer comment monsieur le baron Hulot était arrivé à grouper les chiffres de la dot d’Hortense, et à satisfaire aux dépenses effrayantes du délicieux appartement où devrait s’installer madame Marneffe. Sa conception financière portait le cachet du talent qui guide les dissipateurs et les gens passionnés dans les fondrières, où tant d’accidents les font périr. Rien ne démontrera mieux la singulière puissance que communiquent les vices, et à laquelle on doit les tours de force qu’accomplissent de temps en temps les ambitieux, les voluptueux, enfin tous les sujets du diable.

La veille au matin, un vieillard, Johann Fischer, faute de payer trente mille francs encaissés par son neveu, se voyait dans la nécessité de déposer son bilan, si le baron ne les lui remettait pas.

Ce digne vieillard, en cheveux blancs, âgé de soixante-dix ans, avait une confiance tellement aveugle en Hulot, qui, pour ce bonapartiste, était une émanation du soleil napoléonien, qu’il se promenait tranquillement avec le garçon de la Banque dans l’antichambre du petit rez-de-chaussée de huit cents francs de loyer, où il dirigeait ses diverses entreprises de grains et de fourrages.

— Marguerite est allée prendre les fonds à deux pas d’ici, lui disait-il.

L’homme vêtu de gris et galonné d’argent connaissait si bien la probité du vieil Alsacien, qu’il voulait lui laisser ses trente mille francs de billets ; mais le vieillard le forçait de rester en lui objectant que huit heures n’étaient pas sonnées. Un cabriolet arrêta, le vieillard s’élança dans la rue et tendit la main avec une sublime certitude au baron qui lui donna trente billets de banque.

— Allez à trois portes plus loin, je vous dirai pourquoi, dit le vieux Fischer. — Voici, jeune homme, dit le vieillard en revenant compter le papier au représentant de la Banque, qu’il escorta jusqu’à la porte.