Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/152

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droits d’entrée, qu’ils le sont à prélever les leurs sur toute chose. Outre les cinquante pour cent dont ils grèvent les provisions de bouche, ils exigent de fortes étrennes des fournisseurs. Les marchands les plus haut placés tremblent devant cette puissance occulte ; ils la soldent sans mot dire, tous : carrossiers, bijoutiers, tailleurs, etc. À qui tente de les surveiller, les domestiques répondent par des insolences, ou par les bêtises coûteuses d’une feinte maladresse ; ils prennent aujourd’hui des renseignements sur les maîtres, comme autrefois les maîtres en prenaient sur eux. Le mal, arrivé véritablement au comble, et contre lequel les tribunaux commencent à sévir, mais en vain, ne peut disparaître que par une loi qui astreindra les domestiques à gages au livret de l’ouvrier. Le mal cesserait alors comme par enchantement. Tout domestique étant tenu de produire son livret, et les maîtres étant obligés d’y consigner les causes du renvoi, la démoralisation rencontrerait certainement un frein puissant. Les gens occupés de la haute politique du moment ignorent jusqu’où va la dépravation des classes inférieures à Paris : elle est égale à la jalousie qui les dévore. La Statistique est muette sur le nombre effrayant d’ouvriers de vingt ans qui épousent des cuisinières de quarante et de cinquante ans enrichies par le vol. On frémit en pensant aux suites d’unions pareilles au triple point de vue de la criminalité, de l’abâtardissement de la race et des mauvais ménages. Quant au mal purement financier produit par les vols domestiques, il est énorme au point de vue politique. La vie ainsi renchérie du double, interdit le superflu dans beaucoup de ménages. Le superflu !… c’est la moitié du commerce des États, comme il est l’élégance de la vie. Les livres, les fleurs sont aussi nécessaires que le pain à beaucoup de gens.

Lisbeth, à qui cette affreuse plaie des maisons parisiennes était connue, pensait à diriger le ménage de Valérie, en lui promettant son appui dans la scène terrible où toutes deux elles s’étaient juré d’être comme deux sœurs. Donc elle avait attiré, du fond des Vosges, une parente du côté maternel, ancienne cuisinière de l’évêque de Nancy, vieille fille pieuse et d’une excessive probité. Craignant néanmoins son inexpérience à Paris, et surtout les mauvais conseils, qui gâtent tant de ces loyautés si fragiles, Lisbeth accompagnait Mathurine à la grande Halle, et tâchait de l’habituer à savoir acheter. Connaître le véritable prix des choses pour obtenir le respect du vendeur, manger des mets sans actualité, comme le poisson, par