Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/154

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montée chez Lisbeth pour s’y livrer à ces bonnes élégies, longuement parlées, espèces de cigarettes fumées à coups de langue, par lesquelles les femmes endorment les petites misères de leur vie.

— Lisbeth, mon amour, ce matin, deux heures de Crevel à faire, c’est bien assommant ! Oh ! comme je voudrais pouvoir t’y envoyer à ma place !

— Malheureusement cela ne se peut pas, dit Lisbeth en souriant. Je mourrai vierge.

— Être à ces deux vieillards ! il y a des moments où j’ai honte de moi ! Ah ! si ma pauvre mère me voyait !

— Tu me prends pour Crevel, répondit Lisbeth.

— Dis-moi, ma chère petite Bette, que tu ne me méprises pas ?…

— Ah ! si j’étais jolie, en aurais-je eu… des aventures ! s’écria Lisbeth. Te voilà justifiée.

— Mais tu n’aurais écouté que ton cœur, dit madame Marneffe en soupirant.

— Bah ! répondit Lisbeth, Marneffe est un mort qu’on a oublié d’enterrer, le baron est comme ton mari, Crevel est ton adorateur ; je te vois, comme toutes les femmes, parfaitement en règle.

— Non, ce n’est pas là, chère adorable fille, d’où vient la douleur, tu ne veux pas m’entendre…

— Oh ! si !… s’écria la Lorraine, car le sous-entendu fait partie de ma vengeance. Que veux-tu ?… j’y travaille.

— Aimer Wenceslas à en maigrir, et ne pouvoir réussir à le voir ! dit Valérie en se détirant les bras ; Hulot lui propose de venir dîner ici, mon artiste refuse ! Il ne se sait pas idolâtré, ce monstre d’homme ! Qu’est-ce que sa femme ? de la jolie chair ! oui, elle est belle, mais moi, je me sens : je suis pire !

— Sois tranquille, ma petite fille, il viendra, dit Lisbeth du ton dont parlent les nourrices aux enfants qui s’impatientent, je le veux…

— Mais, quand ?

— Peut-être cette semaine.

— Laisse-moi t’embrasser.

Comme on le voit, ces deux femmes n’en faisaient qu’une ; toutes les actions de Valérie, même les plus étourdies, ses plaisirs, ses bouderies se décidaient après de mûres délibérations entre elles.

Lisbeth, étrangement émue de cette vie de courtisane, conseillait Valérie en tout, et poursuivait le cours de ses vengeances avec