Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/155

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une impitoyable logique. Elle adorait d’ailleurs Valérie, elle en avait fait sa fille, son amie, son amour ; elle trouvait en elle l’obéissance des créoles, la mollesse de la voluptueuse ; elle babillait avec elle tous les matins avec bien plus de plaisir qu’avec Wenceslas, elles pouvaient rire de leurs communes malices, de la sottise des hommes, et recompter ensemble les intérêts grossissants de leurs trésors respectifs. Lisbeth avait d’ailleurs rencontré, dans son entreprise et dans son amitié nouvelle, une pâture à son activité bien autrement abondante que dans son amour insensé pour Wenceslas. Les jouissances de la haine satisfaite sont les plus ardentes, les plus fortes au cœur. L’amour est en quelque sorte l’or, et la haine est le fer de cette mine à sentiments qui gît en nous. Enfin Valérie offrait, dans toute sa gloire, à Lisbeth, cette beauté qu’elle adorait, comme on adore tout ce qu’on ne possède pas, beauté bien plus maniable que celle de Wenceslas qui, pour elle, avait toujours été froid et insensible.

Après bientôt trois ans, Lisbeth commençait à voir les progrès de la sape souterraine à laquelle elle consumait sa vie et dévouait son intelligence. Lisbeth pensait, madame Marneffe agissait. Madame Marneffe était la hache, Lisbeth était la main qui la manie, et la main démolissait à coups pressés cette famille qui, de jour en jour, lui devenait plus odieuse, car on hait de plus en plus, comme on aime tous les jours davantage, quand on aime. L’amour et la haine sont des sentiments qui s’alimentent par eux-mêmes ; mais, des deux, la haine a la vie la plus longue. L’amour a pour bornes des forces limitées, il tient ses pouvoirs de la vie et de la prodigalité ; la haine ressemble à la mort, à l’avarice, elle est en quelque sorte une abstraction active, au-dessus des êtres et des choses. Lisbeth, entrée dans l’existence qui lui était propre, y déployait toutes ses facultés ; elle régnait à la manière des jésuites, en puissance occulte. Aussi la régénérescence de sa personne était-elle complète. Sa figure resplendissait. Lisbeth rêvait d’être madame la maréchale Hulot.

Cette scène où les deux amies se disaient crûment leurs moindres pensées sans prendre de détours dans l’expression, avait lieu précisément au retour de la Halle, où Lisbeth était allée préparer les éléments d’un dîner fin. Marneffe, qui convoitait la place de monsieur Coquet, le recevait avec la vertueuse madame Coquet, et Valérie espérait faire traiter de la démission du chef de bureau par