Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 17.djvu/156

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Hulot le soir même. Lisbeth s’habillait pour se rendre chez la baronne, où elle dînait.

— Tu nous reviendras pour servir le thé, ma Bette ? dit Valérie.

— Je l’espère…

— Comment, tu l’espères ? en serais-tu venue à coucher avec Adeline pour boire ses larmes pendant qu’elle dort ?

— Si cela se pouvait ! répondit Lisbeth en riant, je ne dirais pas non. Elle expie son bonheur, je suis heureuse, je me souviens de mon enfance. Chacun son tour. Elle sera dans la boue, et moi ! je serai comtesse de Forzheim !…

Lisbeth se dirigea vers la rue Plumet, où elle allait depuis quelque temps, comme on va au spectacle, pour s’y repaître d’émotions.

L’appartement choisi par Hulot pour sa femme consistait en une grande et vaste antichambre, un salon et une chambre à coucher avec cabinet de toilette. La salle à manger était latéralement contiguë au salon. Deux chambres de domestique et une cuisine, situées au troisième étage, complétaient ce logement, digne encore d’un Conseiller-d’État, directeur à la Guerre. L’hôtel, la cour et l’escalier étaient majestueux. La baronne, obligée de meubler son salon, sa chambre et la salle à manger avec les reliques de sa splendeur, avait pris le meilleur dans les débris de l’hôtel, rue de l’Université. La pauvre femme aimait d’ailleurs ces muets témoins de son bonheur qui, pour elle, avaient une éloquence quasi-consolante. Elle entrevoyait dans ses souvenirs des fleurs comme elle voyait sur ses tapis des rosaces à peine visibles pour les autres.

En entrant dans la vaste antichambre où douze chaises, un baromètre et un grand poêle, de longs rideaux en calicot blanc bordé de rouge, rappelaient les affreuses antichambres des Ministères, le cœur se serrait ; on pressentait la solitude dans laquelle vivait cette femme. La douleur, de même que le plaisir, se fait une atmosphère. Au premier coup d’œil jeté sur un intérieur, on sait qui y règne de l’amour ou du désespoir. On trouvait Adeline dans une immense chambre à coucher, meublée des beaux meubles de Jacob Desmalters, en acajou moucheté garni des ornements de l’Empire, ces bronzes qui ont trouvé le moyen d’être plus froids que les cuivres de Louis XVI ! Et l’on frissonnait en voyant cette femme assise sur un fauteuil romain, devant les sphinx d’une travailleuse, ayant perdu ses couleurs, affectant une gaieté menteuse, conservant son air impérial, comme elle savait conserver la robe de velours bleu qu’elle